Attention : Monument en devenir.
Les Italiens de Postvorta sont de retour cette année avec leur Doom Sludge très noir, proche de ce qu’un Walk Through Fire pourrait proposer. Et cerise sur le gâteau, nous avons droit à deux albums sortis à deux mois d’intervalle. La plus grosse surprise réside dans le fait que ces deux opus sont en opposition absolument totale niveau stylistique, notamment lié au confinement. Celui-ci a eu un impact considérablement en Italie comme vous le savez. Dans une passade très nouvelliste, je vous propose donc de découvrir ces deux albums, pourtant si éloignés mais complémentaires, sous forme de deux petites histoires, inspirées très fortement par le cycle « Le Passage » de Justin Cronin mais pas que. Je vous conseille d’ailleurs la lecture de ces trois bouquins, mais attention, on approche les 3500 pages et c’est assez dur à lire par moments, âmes sensibles s’abstenir. Ce Porrima est un pavé de 86 minutes pour cinq morceaux. En voici la première partie :
2041. Italie, Région Emilia Romagna, bord de mer adriatique. Ricardo a perdu sa femme depuis peu. Elle attendait leur première enfant. Cecilia. La toxicité de l’eau, ayant atteint des sommets jamais égalisés jusqu’ici, a eu raison d’elles. Une sorte de diphtérie s’est emparée d’elle et ne lui a laissé que quelques jours de répit. Et personne, aucun scientifique n’a pu déterminer le pourquoi. L’eau a décidé de reprendre ses droits sur l’Homme. Vu ce monde où la situation est globale et même si cette pensée est purement indigne d’un père, peut-être que c’est mieux pour Cécilia, ce triste sort. Elle n’aura pas à souffrir.
Seul sur la plage là où tout a commencé pour sa compagne et lui, la noirceur le broie de l’intérieur. Il n’a plus rien à perdre « Epithelium Copia » se dit-il sans même en comprendre le sens. C’est écrit sur le sable également. Avant que les vagues ne l’effacent. Il vaut mieux éviter de toucher l’eau, même celle de la mer, depuis plusieurs années. Il reste bien des sources d’eau potable, mais les plus grandes richesses de cette Terre en ont le monopole.
Bien entendu, la science permet le filtrage de l’eau pour la rendre de nouveau potable. Mais à quel prix ? L’eau se vend au marché noir. La multinationale « VPD », pour abréviation de « Vasa Praevia Dispassion » détient presque toutes les eaux terrestres. Comment ? Pourquoi ? Leur site principal est basé en Italie mais principalement pour l’exportation. Quelle logique ? Les Chinois, les Américains, les Saoudiens auraient pu pourtant tout acheter et tout produire eux-mêmes. Ricardo a arrêté de s’interroger. Il attend un but dans sa vie. Il le sait, il sent, on s’approche de la fin. C’est peut-être pour ça qu’aucune des grandes puissances n’a réagi. Car personne ne peut l’expliquer, l’eau a subitement monté dans le sud du pays. Et tout ravagé derrière elle. Ceux qui ont survécu aux tsunamis ont été emportés par la Maladie. La botte italienne n’est plus. La Sicile, les Calabres, la Sardaigne, les Abruzzes. Tout ça n’existe plus. Mais pas que. Certains pays ont été rayés de la carte. Le Portugal. La Turquie réduite de moitié, la Bretagne française, la Belgique, les Pays-Bas, la Scandinavie. L’Irlande, la Grande Bretagne. Une partie de l’Amérique du Sud. L’Australie est la suivante. Plus rien de tout cela n’existe autrement que sous forme d’Atlantide. Le taux de suicide mondial est extrêmement élevé. Un jour, ce sera le tour de sa région, il le sait, et le reste de son pays. C’est maintenant qu’il faut profiter de la plage ou de ce qu’il en reste et de ses souvenirs.
Une enfant. Un peu plus loin seule sur la plage. À peine une dizaine d’années, même pas. Elle a un casque, elle écoute de la musique. Elle enlève son casque à l’approche de Ricardo.
– Que fais-tu là seule mon enfant ? Ce n’est pas sécurisé ici.
– Mes parents sont morts hier.
Le sang de Ricardo se glace. La réponse du tac au tac ne l’a jamais mis à l’aise dans sa vie, encore moins dans ce genre de situation.
– Je suis désolé. Qu’écoutes-tu ?
Il faut changer de sujet rapidement.
– Postvorta – « Decidua Trauma Carthasis« . C’était la chanson préférée de mon papa. Mais attention monsieur c’est très violent.
Effectivement, c’est très intense. La mélancolie de cette violence le ramène aux heures sombres qu’il vient de vivre avec le décès de sa femme. Les larmes lui montent aux yeux. C’est si puissant.
– Pourquoi vous pleurez ?
– J’ai perdu quelqu’un aussi, il ne me reste plus rien. Comment peux-tu être aussi forte, petite? Tu as tout perdu et nous sommes condamnés. Comment vas-tu faire ? Tu as un endroit où aller ?
– Euh non. Mais sans ma maman et mon papa je n’en ai pas envie. Je compte juste attendre là, que l’eau monte. Elle va m’emporter les rejoindre. Et si elle ne le fait pas, je la boirai.
Ricardo n’a jamais entendu telle violence de la part d’une si jeune bouche. Et pourtant tellement empreinte de réalisme. Elle a raison, ils n’ont aucun avenir. L’eau finira par tout détruire sur son passage. L’Humanité sera soit noyée, soit empoisonnée. Mais il ne peut pas rester là et ne rien faire. Regarder un enfant accepter la mort ne peut se produire.
Ricardo a une idée.
– Écoute petite, j’ai une idée bizarre à te proposer. Moi aussi, ma compagne a été tuée par l’eau et emportant mon enfant avec elle. Je n’ai pas eu la chance de la connaitre. Que dirais-tu de faire un bout de chemin ensemble ? Je vis dans l’immeuble « March Dysthymia » et j’ai encore pas mal de réserve d’eau potable. Excuse-moi de mon langage, mais si ensemble, on disait merde à tout ça ?
Pour la première fois depuis notre rencontre, elle sourit.
– Tu as un ordinateur ou une radio pour écouter de la musique ?
– J’ai mieux que ça ma grande. J’ai le dernier modèle « Aldehyde Framework », tu pourrais l’utiliser et me faire écouter tout ce que tu souhaites, même de longues compositions de vingt-cinq minutes, tu verras c’est hyper immersif. Ce fut mon dernier achat avec la mort de ma compagne. Comme toi, elle aimait la musique. Elle me l’a fait apprécier.
Ricardo se relève et tend la main à la petite.
– Alors, on va attendre ensemble que tout s’écroule en écoutant de la bonne musique. Ce groupe Postvorta me semble une bonne bande originale de fin du monde.
L’innocence de son regard se traduit dans les ténèbres qui l’habitent. Elle tend sa main. Dans un monde qui file à sa mort et son lent suicide, j’ai sauvé une vie ce matin se dit Ricardo.
– Au fait, moi c’est Ricardo. Enchanté de te rencontrer
– Enchanté, moi c’est Agnese.
…À suivre…
- Tiph