Post Rock, Post Metal Doom, Sludge, Trip Hop, Prog, Mathrock, Chaotic Hardcore. Des mots tout cela, des étiquettes. Laissez-vous guider par mes émotions. Orienter les vôtres et vous donner de quoi rêver. Planer ou encore vous déchaîner.

J’ouvre le regard. Comme un volet sur une nuit que je pensais terminée ou infinie. Pas eu le temps de comprendre ce qu’il m’arrivait dans ces rues de Leipzig au son du premier album I Don’t Want It Darker des Allemands d’Aua (Chronique que vous pouvez (re)découvrir ici). Toujours chez Crazysane Records et toujours avec une teinte rock électronique version Ghinzu ou Radiohead sous amphétamine soluble, le duo offre une suite à ses lugubres élucubrations aux sonorités un peu 80’s. Mais pas que. Là où ça devient drôle si vous lisez la chronique que j’ai écrite à l’époque, me laissant sur le tarmac entre la vie et la mort après l’accident avec des phares au loin, Aua a choisi de nommer son nouvel opus The Damaged Organ. Coïncidence étrange que j’accueille avec fierté. Dès lors, je me lance dans un exercice relativement rare : je donne une suite à ma chronique.

Les lumières du plafond défilent. Je ne me sens pas mal, je ne me sens pas bien. Ayant fermé les yeux sur des lumières éblouissantes, je les réouvre avec le sentiment d’asphyxie dans ma bouche. Comme une bouteille de gaz attachée à mes veines, laissant s’échapper un filet de mort qui me sauvera la vie. « No One Famous Ever Came Here » est cette entrée en matière avec un clavier absorbant et redondant pour donner la sensation de renaître. Des gens en blouse blanche sans visage poussent mon brancard dans ce couloir sans fin. À droite, à gauche, des patients sans mort d’âme m’observent passer mais ne me voient pas. Le morceau se diffuse dans le couloir, je l’entends à travers ce plastique isolant. Pourquoi un isolant alors que j’ai eu un accident de voiture ?

« Post Human Blossom » pousse les portes de la Radiohead Activity Room dès ses premières notes. Des lumières rouges, bleutées et verdâtres éclairent une machine à résonance magnétique. Sans que je ne comprenne comment cela se produit, je me trouve dans le scanner de ma vie. Henrik Eichmann et Fabian Bremer sont dans la pièce en train de jouer cette musique triturée alors que l’on me détecte un mal. Je n’y voyais pourtant que fleurs couleurs boules de bowling et plantes aromatiques. Apparemment, la basse de « Malformed » fait vibrer un cancer cynique dans mon esprit. Il est repéré, je vais devoir m’enfouir dans cet enfer et me ment sur la nature de ce que je vois, de ce que j’entends. Le rythme du morceau, un docteur masqué et ganté s’approche de moi avec de grands pas d’échasses. Le ricanement atroce de ce broyeur à demi réel se traduit par un thérémine froid et sombre. Il n’y a pas une seconde à perdre, j’arrache tout, je m’enfuis, quitte à vivre.

« Brick Break » est mon échappatoire. Cet instant où mes jambes hurlent et renversent tout, résonance magnétique en bout de course. Je bouscule docteurs et infirmières dans cette épopée lumineuse. Le couloir va de droite à gauche vers l’infini. Les uns patients, les autres en dés passés, la population est de lumière verte et rigole de moi à chaque pas que j’effectue au ralenti. D’ailleurs, comment puis-je courir alors que je ne sentais plus rien ? Pas grave, les actions d’abord, les questions ensuite.

À l’instant où j’enfonce une porte référencée comme « exit », je m’effondre dans un dédale d’escaliers d’immortalité vers les tréfonds de cet hôpital de folie, me menant vers le néant avec « Islands Songs », sur la sublime voix d’Anika. En m’enfonçant vers l’immensité de l’océan tricolore de bleu, rouge et vert, la ballade lancinante emporte mon cervical désir avec lui de la retrouver. Et pourtant, elle n’a jamais été présente et pourtant je l’ai perdue. Qui suis-je ? Ma raison.

Au loin, les paranoïdes psycho-cétacé humanoïdes dessinent eux-mêmes leur propre forme à ma poursuite. Au plus profond de l’agonie, la douceur angoissante de « Buffout » pousse mes pensées vers la sortie, celle qui me permettra de retrouver ma voiture et m’enfuir. À moins que je sois toujours par terre et attende le cercueil ? Putain, je me perds, je me bats mais la basse va plus vite que mon cœur. Alors que je me crois hors d’atteinte, « Death In Space » parvient à mon cortex. Mes bras partent dans tous les sens, se retrouvent accrochés aux murs avoisinants par mes tendons, comme dans un Freddy Krueger qui a perturbé mon enfance (et l’homme que je suis devenu certainement). Le rock électronique dans ses meilleurs méandres se déboulonnent de ma statue et me figent. Les médecins auto-attitrés me reprennent dans ma fuite de songe. Ils en veulent toujours à cet organe défectueux qu’est mon existence. Je pense donc je fuis ? « Wrong address », court, concis, claquement des doigts, retour sur mon brancard.

Les plafonniers lumineux redéfilent doucement à mon regard, presque en deçà de la vitesse de la lumière, sous les rythmes presque tribaux de « Inferior (Glowing One Pt.2) ». J’ai comme déjà entendu cette trompette dans mon crâne sur le premier opus, mais il va falloir la repasser à la résonance magnétique pour s’assurer que l’organe à démembrer (volontairement lexicalement incorrect) se trouve toujours bien dans ce corps défectueux. Je n’aurais pas dû me rater avec cet arbre de Leipzig.

Aua sort un second album totalement psychédélique, ne reniant pas son identité mais en l’approfondissant d’autant plus avec ses claviers et sa batterie low-fi, affine sa patte, sa volupté et son horreur dissimulée. Sonorités modernes et anciennes se côtoient dans un sombre délire sanguin, sanguinolent et sanguinaire sans jamais verser dans le voyeurisme. The Damaged Organ est plus que recommandable, il est nécessaire. Mais si vous voyez les phares au loin… prudence est mère de corrosion osseuse.

Bonne écoute

  • Tiph

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