Avec cette chronique, je dois avouer, je me lance dans un exercice périlleux. Ecrire sur un groupe dont vous connaissez les membres personnellement et que vous appréciez tant humainement que musicalement, et tout cela sans tomber dans le « clientélisme », c’est un exercice difficile. D’autant plus que j’ai organisé leur tout premier concert en Wallonie en 2017 et fait près de deux heures de route pour me rendre à leur release party dans les fins fonds de la Belle Flandre en février dernier (oui j’aime la Flandre et le crie à qui m’entend).
À mes débuts pour NMH, les SOAWM ont été l’un des groupes qui m’est venu à l’esprit de chroniquer. Mais la lourdeur de la tâche me faisait peur, je craignais de tomber dans le cliché « Ouais ce sont ses potes le type » etc, tout le tralala. Donc j’ai mis de coté en attendant le bon moment. Maintenant que Kenoma a cinq mois, plusieurs écoutes et surtout, de nombreuses sessions d’écritures sur divers albums et genres (Guillaume, je ne te remercierai jamais assez), le bon moment est venu pour en parler avec suffisamment de recul et me rendre compte qu’il faut accepter l’évidence : Kenoma est une perle et véritablement appelé à devenir un classique dans le post black, peut-être même à une échelle qui les dépasse encore. Cet album va mûrir et prendre de la bouteille tant il est taillé dans le roc.
Preuve en est : le label Les Acteurs de l’Ombre n’a pas hésité à les signer et ainsi va propulser leur carrière après ce putain de confinement à la con (coucou Sophie) sur la scène européenne. Après trois EP’s d’excellente facture très shoegaze, dynamique et alambiqué, les Fils de l’Homme Recherché (avouez ce nom de groupe est purement exceptionnel bordel), Kenoma, leur premier album studio donc, élève le niveau encore de quelques degrés dans la violence, la puissance et l’émotionnel. Rien n’est calculé mais tout est maîtrisé et sur scène, c’est une mandale pas possible dans ta gueule mon vieux, je te promets (Le sel aux baisers de ma bouche…ah merde non mauvaise chronique, désolé).
L’éponyme « Kenoma » démarre en puissance et violence inouïe et Jan Buekers envoie la sauce directement au chant, qui n’est pas sans rappeler George Clarke de Deafheaven. Très criarde, mais elle peut aussi se faire très rauque si la composition le requiert. Onze de minutes pendant lesquelles la batterie part dans tous les sens et les riffs sont acérés comme des couteaux. Bien que démarré en force, le groupe prend le temps d’installer son rythme et va nous faire headbanguer sévère et nous faire frémir sur le passage guitare/voix. « Serpertine » et « Amor Fati » précédemment sortis en 2018 sous forme de mini EP’s indiquant la direction prise par le groupe reste dans cette veine en plus condensé mais toujours avec ce niveau d’intensité, rarement atteinte par un groupe belge (désolé pour les autres les gars, mais je reste objectif et sincère pourtant).
« Canine Devotion » introduit Isa Holliday (Slow Crush, allez écouter c’est à tomber bordel) où on se croirait dans une ballade post black (la première véritable ?) un peu à la Belle et la Bête. Une voix angélique d’un côté, le monstre de l’autre. Les deux voix cohabitent ensemble dans l’harmonie. C’est superbe, pas d’autres mots. « Under The Lightless Sky » envoie un post black mid-tempo imparable avant l’accélération typique du genre. C’est aussi un bon morceau pour apprécier la palette vocale au chant et un superbe solo aérien. Je l’ai écouté déjà plusieurs, les frissons me parcourent toujours autant. Il ne reste que l’excellent « Absent », autre single présenté par le groupe en promo avant la sortie, assez proche de Deafheaven (D’ailleurs les SOAWM ont ouvert pour eux au Trix à Anvers, la consécration !!). Rythmé, dense, il s’en dégage une aura qui me ramène également aux excellents Néerlandais de An Autumn For Crippled Children. C’est pur, le chant est compréhensible dans le marasme sonore. On ne peut que rêver sur cet album. Le drone « Pleroma » conclut l’opus. Une indication de la suite des événements pour le groupe ? En tout cas, une manière agréable de terminer l’album après ce déluge, ce torrent que nous venons de vivre.
C’est indéniable, je vous le disais, cet œuvre a le potentiel pour aller très haut. À noter également que le jeu de batterie de Kevin Steegmans est absolument démentiel, tant en studio que sur scène, on morfle à chaque morceau. Ajoutez à cela, un visuel très travaillé, plein de détails et intéressant à regarder sous toutes ses coutures et dans tous les sens, vous obtenez à coup sûr l’un des meilleurs albums d’un groupe belge en 2020 et peut-être en Europe. Bon, ok, je vous le concède côté objectivité, je ne mène pas vraiment large. Mais écoutez-le par vous-mêmes et vous comprendrez qu’aucun de mes mots n’est surestimé.
Bonne écoute
- Tiph