Rédacteur en chef et Fondateur de NMH. Spécialisé dans le post-rock, l'ambient, le post-metal, le psychédélique et la musique progressive en général.

En matière de hip-hop, ces dernières années ont été particulièrement riches : Open Mike Eagle, Tyler the Creator, Danny Brown, clipping. (que nous avons chroniqué aussi d’ailleurs), Milo… Tout ça, on adore. Alors oui, nous n’allons pas nous faire que des amis en chroniquant du hip-hop, mais quand c’est excellent et qu’on a aimé, on a le droit de vous dire pourquoi. Voici donc, pour nous, un des meilleurs albums de ces derniers mois : RTJ4 du duo de rappeurs Run the Jewels.

Comme son nom l’indique, il s’agit du quatrième opus du duo composé de Killer Mike et de El-P. Et lorsque j’entends que le rap est souvent qualifié de « musique de dégénérés » (vrai commentaire laissé sur un de nos posts Facebook lorsque nous avons partagé pour la première fois du hip-hop…) ou que le hip-hop ne peut pas être considéré comme de la « vraie musique » (avis très fréquent dans le milieu, souvent très fermé d’esprit malgré les apparences, du rock progressif), ça me fait bondir. Mais… Littéralement bondir de haine dans la stupidité du propos est immense. RTJ4 est une nouvelle preuve que le hip-hop est un art tout aussi riche (et parfois bien plus…) que le post-rock, le progressif, le stoner ou le métal en général. Les artistes sont souvent engagés et se servent de leurs textes incisifs et réfléchis pour proposer une analyse souvent fine du monde qui nous entoure.

La critique est souvent si juste qu’elle précède parfois l’actualité qu’elle décrit. Prenez le morceau « walking in the snow« , par exemple. Non seulement le beat proposé et le flow de Killer Mike sont impressionants de justesse et d’inventivité, mais les paroles sont on ne peut plus révélatrices de l’ambiance du moment, dans ce monde bizarre d’aujourd’hui. RTJ4 a été enregistré bien avant la mort tragique de George Floyd, et pourtant, quand on lit ce passage, Killer Mike nous donne l’impression d’avoir lu l’avenir :

« And every day on the evening news, they feed you fear for free
And you so numb, you watch the cops choke out a man like me
Until my voice goes from a shriek to whisper, « I can’t breathe »
And you sit there in the house on couch and watch it on TV
The most you give’s a Twitter rant and call it a tragedy

But truly the travesty, you’ve been robbed of your empathy
Replaced it with apathy, I wish I could magically
Fast forward the future so then you can face it
And see how fucked up it’ll be
« 

Traduction libre d’NMH :

« Et tous les soirs au JT, ils te nourrissent gratuitement avec de la peur
Et tu es tellement engourdi, tu regardes les flics étouffer un mec comme moi
Jusqu’à ce que ma voix aille du cri au murmure, « Je ne peux pas respirer »
Et tu es assis là dans la maison sur le canapé et tu le regardes à la TV
Et le mieux que tu donnes c’est un coup de gueule sur Twitter, l’appelant une tragédie
Mais vraiment la mascarade, on t’a volé ton empathie
Remplacée par de l’apathie, j’aimerais pouvoir magiquement
Avancer dans le futur pour que tu puisses faire face
Et voir à quel point ce sera pourri« 

Nous sommes bien d’accord, ce genre d’anecdotes est malheureusement monnaie courante aux Etats-Unis, et c’est bien regrettable, mais il faut avouer que le duo a tapé dans le mille lors de l’écriture de ce fabuleux disque. Là où le post-rock t’envoie côtoyer les étoiles, le hip-hop te ramène brutalement sur Terre.

Musicalement, on est au top. Là où RTJ3 était très bon, RTJ4 repousse les limites de l’excellence. RTJ3 se voulait déjà très inventif, redoublant d’ingéniosité, et surtout de puissance, pour vous filer des frissons avec des mélodies bourrées de samples recherchés. Ici, nous sommes un cran au dessus, le résultat est peut-être moins explosif et moins dansant, mais il est bien plus juste et cohérent, du premier au dernier morceau. Si ça ne suffisait pas, le duo s’entoure d’une panoplies de potes qui viennent poser leurs voix ou leur grain de sel musical sur des compositions déjà bien riches à la base. Zack de la Rocha, Josh Homme (le rock et le rap, deux opposés, hein?), Pharell Williams ou encore 2 Chainz sont quelques uns de ces brillants featurings.

Lorsqu’il s’agit de parler des samples, leur utilisation prouve à eux seul que ces types sont plus éclectiques que toi. Les références sont lourdes et précises. Ca va du post-punk au gangsta rap des années 90 en passant par la funk des années 70… La diversité musicale de ces deux gaillards est incroyable, et ils utilisent ces excellentes rythmiques pour les sublimer sur des morceaux où leurs voix s’entremêlent à la perfection. L’un ne domine pas l’autre, ni Killer Mike ni El-P ne peut se targuer de porter le projet à lui seul, ils sont complémentaires, et ce, depuis 4 albums sortis systèmatiquement après un long travail de compositions et de recherche. Ca se sent, ça s’entend.

RTJ4 est un chef d’oeuvre, un album que peu d’artistes peuvent se vanter d’avoir dans leurs discographies. Si tu étais convaincu, je te propose d’écouter les artistes cités dans le premier paragraphe de cet article. Tu verras que le hip-hop recèle de pépites qui méritent toute notre attention. Là où l’expérimentation existe dans le post ou le progressif, il est aussi bien présent dans ce milieu souvent sous-estimé, voire carrément méprisé.

Et si tu avais le préjugé que le rap ce n’était pas pour toi, rappelle-toi le nom de notre webzine : New Musical Horizons. Ouvrons nos horizons musicaux, et restons bienveillants.

  •  Guillaume

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