« Diversity shouldn’t be tolerated, it should be celebrated » ~ Kamasi Washington
Mercredi 30 mai 2018. 20h. La salle fraîche de La Madeleine à Bruxelles commençait à s’agiter et à prendre la température sur un mix chaud de LeFtO. Les douces fragrances de Zappa, Parliament voire Thundercat pour ne citer qu’eux, ont vite laissé place au grand accolement tant attendu face à la scène. Les lumières s’allument, les musiciens sortent des coulisses sur de nets applaudissements, puis arrive Kamasi Washington, serein, tel un prophète, prêcheur de la bonne parole. Celle qui nous unifie autour d’une musique qui n’a jamais été aussi vivante et plurielle qu’aujourd’hui, celle d’un jazz coloré, dansant, nostalgique, quelquefois mélancolique mais toujours porteuse d’espoir et de vie.
Lancés dans les flots puissants d’un jazz clairement typé « spiritual », touchant çà et là au rock, à la funk, au hip hop, au progressif, à ceux que j’oublie, en faisait quelques haltes autour des contrées du free tout en restant tonal, la musique amplifiait la chaleur de la salle pour nous faire trembler de partout. Facile donc de rejoindre les musiciens dans leurs élans célestes. On a pu compter sur quatre immenses pièces de ses deux derniers albums et deux de la galette à venir, soit deux heures intenses pour transcender le public et ouvrir les quatre murs de la salle pour nous porter loin.
L’interprétation de « Thrust » sur l’EP de Harmony of Difference a pour ma part été la plus émotive à vivre. L’intelligence du jeu, la recherche mélodique et l’ambiance, clôturée seulement par Kamasi himself au saxopone dans un silence méditatif, réémanant la mélodie qui ne voulait pas s’éteindre. J’aurais voulu que ce moment dure éternellement, ne sachant si c’était la moiteur ou les larmes qui caressaient mes joues.
Une véritable communion entre musiciens, ponctuée de phrases absolument géniales, on voit qu’ils prennent plaisir à nourrir les compositions originales. Ils se sont tous également adonnés à des soli très variés comme le veut la tradition du jazz, dans le respect des paritions, chacun caressant leurs inspirations personnelles. Les deux batteurs Tony Austin et Robert Miller, placés en évidence sur une estrade, ont même participé à une joute assez impressionnante, lorsqu’ils n’épaulaient pas le phénoménal contrebassiste Miles Mosley qui variait son jeu avec archet et pédales d’effet (dont une wah-wah qui a étonné toute la salle).
Rickey Washington (père) et Ryan Porter, respectivement flûte traversière/sax soprano et trombone, nous ont également gratifiés de grands moments d’égarements. Brandon Coleman (claviers) n’est pas en reste, bien au contraire, puisqu’il a démystifié des improvisations au vocabulaire jazz plus élitiste pour apporter de nouvelles pistes d’exploration aux morceaux. Divin. Et sans oublier la (très) gestuelle Patrice Quinn au chant sur quelques passages et son soutien chœur, totalement hypnotique même si on aurait apprécié l’entendre un peu plus.
Le concert fût donc une grande réussite, clairement un de ces moments suspendus hors du temps dont l’enthousiasme du public en était le meilleur témoin. « Non, le jazz ce n’était pas mieux avant », scandait quelques jours avant le concert Kamasi Washington. Et je ne peux que lui donner raison ; il n’a jamais été aussi vivant et varié, puisant dans ses origines et son mythe ce qui doit être retenu pour penser le futur.
Poing levé marqué sur la fin de ses morceaux (sûrement en signe d’accomplissement et de poursuite de sa quête spirituelle), celui qui a vaincu les tracas de la rue armé de son saxophone et de sa foi en l’humanité est en train de réécrire une partie de l’histoire et d’unifier des horizons divers au service de la musique. Pour qu’elle résonne encore et toujours, depuis le ciel et la terre.
- Alessandro