Post Rock, Post Metal Doom, Sludge, Trip Hop, Prog, Mathrock, Chaotic Hardcore. Des mots tout cela, des étiquettes. Laissez-vous guider par mes émotions. Orienter les vôtres et vous donner de quoi rêver. Planer ou encore vous déchaîner.

Imaginez la scène. Vous vous retrouvez devant une toile, un écran de tissu comme celui du cinéma. Un tapis d’herbe sous vos pieds nus qui se sentent bien, de l’espace pour vous mouvoir et un projecteur sur trépied face à cette scène où vous allez vivre mille aventures en l’espace d’un peu plus de trente minutes.

C’est le ressenti que m’a apporté et surtout fait vivre ce premier album du groupe français Theodore Wild Ride. Theodore est incarné par trois esprits des plus singuliers à travers Ophir Levy, Mathieu Gabry et une certaine Christine Ott, déjà connue chez NMH cette année avec son sublime Time To Die il y a quelques mois (je vous propose d’ailleurs la relecture et l’écoute ici). Un premier album qui sort chez les Belges de Icarus Records, s’étant associé pour l’occasion avec l’écurie Consouling Sounds. Qui pense Consouling pense psychique, atmosphérique, instrumental, voyage, incantation, méditation, inspiration, profondeur. Tous ces champs lexicaux vont s’appliquer à l’expérience sonore de T.W.R. J’ai longtemps mûri ce texte. Je le laisse désormais m’envahir et j’espère vous embarquer dans mon monde de paysage déroulant.

Le projecteur s’enclenche, le paysage commence à se dérouler de droite à gauche, comme si nous marchions sur place. « Little House » place un décor fertile de l’Orient montagneux. Celui qu’on imagine sans trop savoir à quoi il peut réellement ressembler. Je mine de stopper le pas et le paysage s‘immobilise. Je repars en sens inverse, le paysage se redessine de nouveau et les notes de piano donne l’écho à mon pas. Vous l’aurez compris, je suis Theodore et en entamant mon voyage sauvage, c’est le vôtre que j’esquisse dans votre imaginaire. Les trois musiciens à la sensibilité exacerbée peignent les contours d’un univers à la fois entêtant, envoûtant, sombre mais d’une délicatesse, noire mais de lumière. Il y a des arbres, des montagnes, un ciel bleu et une atmosphère de rêve qui se débloque. Il faut une écoute approfondie pour percevoir le travail en arrière-plan.

« Squirrel Creek » laisse le sentiment de voir ce paysage défiler sous une fine pluie. Je suis toujours sur mon tapis d’herbe fraîche et pourtant, la sensation que l’air s’humidifie autour de mon être va de pair avec l’intensité. Je continue d’évoluer dans cette montagne à la fois rose et trempée, qui ne semble plus si pacifiste désormais. Les instruments se mélangent et certains d’entres eux sont saugrenus. Et puis me vient l’idée. Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt d’ailleurs ? Je m’approche de l’écran et comme je le pensais, je quitte mon tapis d’herbe. Je suis moi-même une partie de l’histoire, ma vision est à 360°, je sens l’air, la vie autour de moi s’est matérialisée.

Le problème est qu’il n’y a plus de sortie. L’ambiance prend soudain un costume plus sombre comme si Zorro et Batman étouffaient le soleil de leur capes noires. Cette éclipse ainsi inventée, l’air se refroidit soudain. De graves notes de piano font monter de la lave du sol d’un volcan tout proche pour réchauffer un ciel tourné noir. « Paoha » a débuté pour instaurer ce climat de tendres coulées de lave jaunes fluorescentes qui s’écoulent dans la vallée. Je suis toujours au-dessus de ma colline. Le torrent calme passe juste à coté de mon sentier. Comme un avertissement à suivre le courant et non de le franchir. J’ai chaud, j’ai froid, au final, je ne sais plus. Cette guitare sèche, cette mandoline qui nous accompagne depuis le début du voyage sauvage (oui, je sais, je ne l’avais pas encore mentionnée, il faut garder l’effet de surprise) se fait plus insistante.

Cette image représente à elle seule ce qui attend l’auditeur à l’écoute de ce superbe premier album

C’est parce qu’elle nous lance l’avertissement que « Appalaches » va débuter. Une approche plus électronique va transformer mon voyage en un semi-cauchemar hallucinant. Les nuages virent au jaune, la plaine et les collines s’empourprent de rose (lexicalement incorrect et assumé) et la lave qui me suit toujours tel un bouvier des Flandres étincelants prend de la vitesse. Elle m’indique de me diriger doucement vers l’océan, qui s’offre à mes yeux enfin. Je l’avais espérée dans mon voyage sauvage. « Appalaches » m’est apparu comme cette transition qui m’a guidé doucement vers la fin de mon voyage. Des notes de thérémine apportent la nuance qu’il me fallait. Celle de la dévotion. Je suis prêt à accomplir ce pourquoi je suis venu.

Arrivé au bord de l’eau, l’océan se révèle calme sur « Clearwater ». La lave s’est solidifiée et paraît désormais immortelle. Un immense sérénité s’empare de moi. Durant cette aventure, il m’est rien arrivé de grave et pourtant, le sentiment d’avoir traversé mille dangers s’impose à mon esprit. Pour sortir de cette univers, « Zeppelins » sera ce moyen de transport. Je grimpe dans cette petite structure qui en sept minutes, va me déposer sur mon tapis d’herbe fraîche. En s’élevant, je revois les collines, au loin cette fine bruine, les nuages épais, cette lave devenue éternelle. Je ferme les yeux pour emmagasiner un maximum de souvenirs de cette expérience, la musique de mon aventure s’intensifie, devient presque étouffante. Des soubresauts électroniques font vaciller mes souvenirs pour se taire soudain. J’ouvre les yeux. Je suis sur mon tapis d’herbe, entre la toile et le projecteur faisant sautiller des taches sombres ça et là, éclairant un espace blanc de white mirror. Au final, je me sens incapable de dire si j’ai traversé l’écran ou si je suis resté immobile durant trente cinq minutes.

Ce premier album de Theodore Wild Ride est ce que j’appellerais un appel. Un appel à faire le vide, un appel à être plus attentif aux choses qui paraissent non significatives, un appel du vide pour faire le vide dans des esprits trop surchargés d’informations inutiles. Un appel à se coucher dans le noir et se laisser rêver. Un appel à juste donner à son corps le temps de se réapprendre. À travers cet opus, le trio français nous donne du temps pour se poser, réfléchir et se réinventer un fil. Pas celui d’actualité mais bien celui de notre propre histoire qui elle n’en a pas. Un album a écouter, réécouter et surtout encore réécouter. Vous y percevrez milles et une nuances bien plus profondes que n’importe quelle autre proposée en médiatisation de masse.

Bonne écoute et bon voyage

  • Tiph

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