Vouloir laisser une trace indélébile derrière soi, quelle que soit sa forme. Brûler au-delà de nos ailes. Voir plus loin, écouter ce que son cœur traduit en fréquences. Ne pas chercher plus loin que ce que le subconscient transcende. Ne pas chercher midi à quatorze heures, aller au plus simple, de A…à B. Tout cela mis ensemble n’a peut-être pas beaucoup de sens à vos yeux mais en les assemblant, on atteint une notion en musique : l’insaisissable. Ne pas comprendre ce que l’on expérimente. À l’écoute de ce premier album des Américains de Dead Sun, j’ai rencontré un véritable ressenti indiscernable et impénétrable.
Dead Sun, ce n’est ni du rock ni du metal. Un peu à l’image des brillants Coffin Problem, ce qu’ils composent revêt une forme énigmatique empreinte de dark rock, de noise et un petit quelque chose en plus indéfinissable, inscrutable et sourd à toute définition. A commencer par cet artwork fugace, osé, dérangeant, avec à nouveau quelque chose d’impalpable derrière. Je n’ai pas cherché à savoir qui sont les membres, on les trouve aisément sur leur Bandcamp et de toute façon, cela ne m’intéresse que trop peu l’humain derrière cet œuvre subtile, poétique et …oui insaisissable. Le moment que l’on va passer aurait pu se passer de mot. Mais pourtant…
« 6 Years » ouvre pourtant l’opus « banalement », un rock alternatif empreint des années 90 avec une basse mise en avant et qui vrombit comme un avion dans l’air… Avant de subitement s’éteindre en plein vol et laisser planer le morceau sous les claviers… Comme si cet « intro » était un leur. Car la suite va virer à 180 degrés. « Opiate Dream » part dans une sorte de feeling expérimental blues, avec des paroles susurrées et une intensité envahissante pour se lâcher peu après les deux minutes de composition… pour retomber dans la mélancolie presque aussitôt. Il est impossible d’envisager la suite tant les artistes font ce qu’ils veulent, quand ils le veulent.
Un sample malsain introduit « Move To Japan ». Ce morceau me fait un peu penser à du Raketkanon plus posé, même dans le chant d’ailleurs. Il faut vraiment tendre l’oreille pour lire les paroles sur la voix (tournure de phrase voulue). La suite des événements prend ensuite des relents slowcore (à la KØDE ou Greet Death pour les connaisseurs). Ça donne vraiment la chaire de poule tellement c’est intense. Cependant, comme Dead Sun se veut infranchissable, la seconde moitié de ce morceau part dans le drone. Oui vous lisez bien, du drone à la Godspeed You ! Black Emperor. J’ai abandonné toute idée de suivre désormais et me laisse guider, emporté par le son depuis longtemps désormais.
Ce drone lancinant va nous amener à « Nathan ». Beaucoup de réverbes dans la voix accentue la mélancolie de cette balade malsaine et presque funéraire. Mes mains tremblent à l’écriture de ces mots. Je n’écoute pas attentivement le texte mais je sais qu’il est mal, au plus bas de la dépression. Comme une boule dans ma gorge….
On ne sait pas trop au départ ce qu’il se passer sur « Heavy Low ». On a plus ou moins qu’on a changé de cycle. Avant qu’une vague de riffs explose et transforme le propos. Cette fois, le nom correspond à ce qu’il nous attend et c’est un un doom très lourd qui prend au trip qui nous étreint. Une fois de plus, l’ambiance me ramène aux Coffin Problem, cela oscille dans un registre proche. Et quand surgit l’explosion de nouveau, tout est soufflé littéralement. Les larsen à eux-seuls créent une mélodie et s’adressent à l’auditeur. Comme un « tu l’as vu venir celui-là ? ». Le trip repart en drone de nouveau, bordel que se passe-t-il sur cet album immense et imprenable ? Je me sens désavoué, perdu, sans repère, comme une chose neuve dans la vie : on en a peur mais ses ténèbres nous attirent. J’ai souvent pour habitude d’imager mes chroniques. Ils m’ont tellement pris au dépourvu que je ne vois d’autres moyens que de décrire ce que je vis à cette écoute.
Va-t-on avoir un peu de répit sur le début post rock de « Solitary Ideal » ? Bien sur que non, la lourdeur envahit de nouveau mes oreilles. La voix ne se veut jamais menaçante, le son fait tout à lui seul. « Extemporary » va rester dans cette idée de post metal/rock sans définition. C’est définitivement ce qui fait tout le charme de Dead Sun, cette incapacité de leur mettre une étiquette, de devoir réécouter l’opus plusieurs pour en comprendre sa logique. il n’est pas forcément accessible à tous, il réclame patience et raisonnement.
Nous en arrivons enfin à la plage titre finale « A/B », à mi chemin entre post rock, blues, post metal et doom. Le morceau part dans tous les sens sans crier « gare ! » et tout va se désaccorder jusqu’à l’extinction de chaque instrument… et te laisser seul sur le carreau, sans rien comprendre à ce qu’il t’es arrivé, le seul moment où le groupe va t’abandonner. Je suis mal dans ma peau mais j’en tire une jouissance énorme de cette expérience.
Dead Sun a réussi un pari me concernant : me perdre dans son monde, sans pourtant m’abandonner en cours de route. Rester insaisissable en me tendant la main pour m’accompagner au plus bas. Me donner envie de descendre encore plus loin dans ma dépression en gardant ma tête hors de terre. Donner une définition à mon mal-être en lui effaçant mon propre nom (comprendra qui veut…). Rester neutre dans sa subjectivité. Le tout et son contraire à la fois. être ce A et ce B en même temps… Les américains ont une véritable carte à jouer pour l’avenir en ayant le potentiel de transformer les codes établis. Il faut plus de formations de ce type, je n’ai de cesse de le clamer. Le Soleil est apparemment encore loin d’être mort… et la lettre A d’être proche de la lettre B.
Ps : les bénéfices engendrés par cet album seront reversés à des œuvres de charités qui font dans les droits humanitaires. N’hésitez pas à faire un geste si le cœur vous en dit via Bandcamp.
Bonne écoute.
- Tiph