Post Rock, Post Metal Doom, Sludge, Trip Hop, Prog, Mathrock, Chaotic Hardcore. Des mots tout cela, des étiquettes. Laissez-vous guider par mes émotions. Orienter les vôtres et vous donner de quoi rêver. Planer ou encore vous déchaîner.

L’Australie est à mon sens la Terre de l’extrême. L’un des pays les plus éloignés du nôtre, un continent ou presque à elle-seule, elle est le désir des uns, la répulsion des autres. Dans mon cas, si je me limitais aux frontières terrestres, je fais partie de ces autres. Anacondas, alligators, serpents, chauves-souris géantes, mygales, tarentules, veuves noires dans ton matelas, requins blancs… Bref, même l’eau et l’air à certains endroits cherchent à t’éliminer. Mais en musicologie, j’ai trouvé pas mal de choses intéressantes à étudier là-bas et ce, dans tout type confondu. Après Adnate il y a quelques semaines, les immenses Selfless Orchestra l’an dernier, ma route croise ce soir celle de Divide and Dissolve. Et le voyage s’annonce une nouvelle fois aux frontières de la nature sans pitié, du subconscient, de l’instinct reptilien de survie et de cette graine de psychiatrie qui ronge chaque être humain et souvent l’amène à la destruction de lui-même, mais surtout de ce qui l’entoure.

Divide And Dissolve est un duo féminin qui utilise sa musique comme revendication et dénonciation. Revendication pour la souveraineté des populations indigènes australiennes dont les deux membres sont elles-mêmes issues sur leurs territoires respectifs où l’eau, les terres et la nature sont exploitées à des fins économiques et industrielles. Et forcément, ces exploitants ravagent l’écosystème sur leur passage ainsi que l’esprit des Anciens, puis-je lire sur leur Bandcamp. Le constat semble bien mondial… Un autre de leurs combats concerne le racisme, la souveraineté blanche des colonies venues s’installer il y a longtemps. Pas un combat neuf et je reste toujours dans l’incompréhension face à ce phénomène. Nous sommes tous des humains, avec ce petit h, nous sommes sur une seule et même planète et sommes l’une des seules espèces à détruire et s’autodétruire pour le pouvoir, qu’il soit financier ou possessionnel.  Nous courrons à notre perte. Mais soit, je laisserai le soin aux activistes le devoir oratoire et la précision des faits.

Ainsi, à travers leur musique, Takiaya et Sylvie essaient de transmettre cette force de l’esprit qui les accompagne dans la vie, cette spiritualité héritée de leurs peuples, de leurs ancêtres directs ou indirects pour amener à la réflexion. Au questionnement sur les fondements mêmes de cette société qui nous entraîne à cent km/h dans un gouffre dépotoir tragique et écologique. Gas Lit est leur complainte, leur message, leur appel à la conscientisation. Comme un retour en pleine face de l’espèce humaine que notre existence ne doit pas seulement se résumer à effondrement, mais consolidation, renforcement et surtout un véritable appel à un retour de l’équilibre des choses.

Comme vous pouvez le constater, je suis-même dans une sorte de révolte silencieuse qui cherche un moyen de s’exprimer, de se libérer de ce cadenas invisible qui me/nous tient tous en laisse. Ces causes me semblent fortes et légitimes face à une violence humaine psychologique et dégradante. Les Hommes sont-ils devenus fous? En tout cas, on peut le penser si l’on s’en tient à l’essence qui fait évoluer le groupe. Il y avait un certain temps que je n’avais pas entendu une telle lourdeur avec des effets psychotropes extrêmes et un mélange des genres d’aussi haute facture. La première chose qui me vient à l’esprit est The Body. Les violons d’accueil sur « Oblique » ne laissent en rien envisager le gras qui va être balancé aux oreilles, le tout se muant dans une puanteur sonore où chaque instrument reste audible et offre un spectacle tragique à mes yeux, sans qu’ils ne voient quoi que ce soit. Je vous rappelle que nos yeux sont comme des fenêtres. C’est notre cerveau qui voit réellement. Pourtant, les Humains, ah oui ces grands Humains, semblent l’avoir bien oublié.

Des envies de persécutions s’en prennent à mon être sur le psychédélique « Prove It ». Les mille et une couleurs du clip restent agrippées aux fenêtres de mes yeux. Limite, je visualise mieux la musique les yeux fermés et dans l’obscurité. Chaque riff résonne comme une petite fin du monde, un effondrement codifié dans le génome. L’Adénine, la Cytosine, la Thymine et la Guanine dans une machine à laver le cerveau. Le réparer. Le fixer comme le carbone 14 détermine ton âge génétique mille ans après ta mort.

Le constat se poursuit. « Did You have Something to Do with It » laisse la voix de Minori Sanchiz-Fung, une artiste d’origine vénézuélienne, elle-même attachée à ses terres, porter un discours affligeant sur l’avidité humaine et se demande si l’Homme est une partie de la planète ou son malheur, sa perte. Son cancer, ai-je envie d’ajouter. Ce texte nous emporte sur « Denial », avec un sublime clip à la clef. Sept minutes et trente-sept secondes où la beauté des images est en contradiction totale avec le son angoissant, la violence d’une composition où les instruments apportent des cendres volcaniques en moisissure sur les cellules grises du cerveau. Absorption de la déshumanisation de l’âme aux termes de ces minutes suspendues dans le temps.

La décharge noise « Far From Ideal » est libératoire. Elle amène à ce « It’s Really Complicated » à couteaux tirés. Un riff martial pour une marche infernale vers la désintégration des gènes, précédemment détruite une première fois plus haut dans ces lignes. Tous les effets sont tournés à fond version dissolution de l’empreinte. Le tempo ralentit jusque l’implosion, le craquement du code.

À cet instant, écouter Divide And Dissolve devient une épreuve physique pour le corps. Jusqu’où peut-on tomber dans la démence et cette « Mental Gymnastics » ? L’encens est toujours plus puissant dans mon antre à écriture. Avec cet interlude, il prend l’ombre d’une émotion en berne, au néant, au-delà de l’infiniment immense ou minuscule. « We Are Really Worried About You » vient conclure un effort stroboscopique et dégénérescent. On ne s’inquiète pas de l’Homme, non, on craint pour son âme. Ces vingt-et-un grammes que certains mesurent en argent, et non en humanité. Le final est à la hauteur de mes attentes: anéantissement viscéral et fréquence rompue. Le message est passé: rien ne peut subsister sans conservation de valeurs.

Divide And Dissolve véhicule un, voire des messages à travers son art et ses inspirations. Une culture qui se perd est comme un être qui se meurt. Une destruction programmée est contre nature. Les chromosomes de notre génome ne sont plus assurés. L’instinct de préservation, de survie est de nouveau au centre de nos interrogations, quel que soit le monde dans lequel on vit. Nous ne pouvons continuer sans conséquence désastreuse ce mode de vie et de consommation comme on nous l’impose sans violence physique (mais par contre psychiquement fulgurante). Gas Lit est un album dont nous reparlerons dans quelques mois comme un album exceptionnel, dans quelques années comme un cri du cœur face à l’immondice humaine.

Bonne écoute.

  • Tiph

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