Post Rock, Post Metal Doom, Sludge, Trip Hop, Prog, Mathrock, Chaotic Hardcore. Des mots tout cela, des étiquettes. Laissez-vous guider par mes émotions. Orienter les vôtres et vous donner de quoi rêver. Planer ou encore vous déchaîner.

Cette année aura été pour moi une année de découvertes encore plus intense que les autres. Dans absolument tous les styles d’ailleurs. De la violence la plus pure à la délicatesse la plus urgente, j’en ai eu pour mille palettes d’émotions. Pour la troisième fois en 2021, Sylvie de chez Raintrain Press me propose découvrir un nouvel opus auquel Christine Ott a participé, cette fois sorti avec le projet Snowdrops, autre projet qu’elle mène avec son compère Matthieu Gabry (Theodore Wild Ride). Celui-ci s’appelle Inner Fires et sortira chez Forwind. De nouveau, il s’agit d’une claque intense d’ambient et de modern classical sur laquelle il faut être capable de poser son âme pour en apprécier toute sa profondeur et son intranquillité .

Plutôt qu’une chronique classique, je vous propose une histoire que j’ai écrite, me rapprochant au plus près de la musique. Je l’ai nommée « Fréquence égarée ». Vous comprendrez bien vite pourquoi. Plongez-vous également dans Inner Fires en lisant. Frissons promis.

Bonne Lecture.

Fréquence égarée

  • …………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

…………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..

  • ………………………………………………. hum hum, il y a quelqu’un ?
  • Pardon ? euh, oui je suis là. Dites-moi.
  • Comment ça, dites-moi ? Où suis-je ?
  • Mmmh, la vraie question serait plutôt « qu’êtes-vous » ?
  • …Comment le saurais-je ? Et puis d’abord, qui êtes-vous pour me demander ce que je suis ?
  • Je ne vous suis pas très bien. Vous me demandez qui je suis pour savoir ce que vous êtes. C’est bien cela ?
  • Euh, oui, en gros c’est ça.
  • Très bien, vous avez posé la bonne question. Alors, qui je suis, je n’en sais strictement rien. J’erre ici depuis l’histoire contée. Je n’existe pas et je suis, à la fois. Je n’ai pas de forme et pour être franche, cela m’est égal. J’accueille les vibrations.
  • Les vibrations ? Quelles vibrations ? Je suis une vibration ?
  • Oui, les vibrations. Et vous êtes l’une d’elles.
  • Mais, attendez, vous êtes une femme ? Vous me dites « pour être franche ».
  • Oui, j’ai senti que la forme féminine serait plus adaptée dans votre cas. Comment l’ai-je senti, épargnez-moi la question.
  • Mais enfin, qu’est-ce que vous racontez ? J’atterris nulle part, je ne sais d’où. Je m’entends mais je ne vois rien. Je ne sais pas où je me trouve mais vous m’accueillez. Je suis une vibration, sans savoir ce que cela veut dire, ni qui je suis. Avouez, il y a de quoi s’y perdre, non ? Je suis perdue, complètement !
  • Ah, nous avons là un indice ? Vous êtes femelle.
  • Pardon ?
  • Vous avez dit « je suis perduEEEE »
  • …tiens, c’est juste.
  • Vous voyez, parfois il suffit simplement de laisser son onde s’exprimer pour trouver qui nous sommes.
  • D’accord mais… on ne voit rien, ce n’est même pas noir, il n’y a rien. Or, nous nous parlons. On doit bien être quelque part tout de même ? Et puis je vous parle. Mais où êtes-vous ?
  • Juste devant vous. Je déteste hurler donc je ne vais pas me placer à mille lieues. Et pour être franche avec vous… C’est grâce à vous que j’existe.
  • C’est grâce à moi que… bon, on arrête les devinettes s’il vous plaît. Éclairez-moi !

Une lumière jaillit de nul endroit. Un ocre chaud et doux aux yeux. Mais… je vois. Et je pense là… oui oui, c’est ça je pense. Mais à qui je suis en train de parler ?

  • Attendez, dis-je dans le vide, c’est vous qui avez allumé la lumière ?
  • Bien entendu, vous l’avez presque ordonné. « Éclairez-moi ! » me répond la voix en m’imitant.

Je rêve où elle se moque de moi en imitant le son de ma voix ?

  • …Oui ok mais quand je vous ai demandé de m’éclairer, dis-je en cherchant à employer les mots les plus justes possibles, c’est de m’expliquer. Me dire où nous sommes, ce que nous faisons ici, ce que et qui vous êtes. Vous semblez plus au courant que je ne le suis, donc j’attends vos explications.

Voilà, ça c’est bien, ça va marcher en m’y prenant de cette manière me dis-je en mon for intérieur.

  • Parfait, vous faites preuve de réflexion, me répond la voix de nulle part. Pour commencer, je vais vous proposer de me…non, pardon, de nous donner une forme. Vous l’avez constaté, nous parlons, sans la moindre apparence. Ce serait quand même un peu plus simple si nous nous imaginions, vous ne trouvez pas ?
  • …euh, d’accord. On fait comment ?
  • Mmmh, le plus fréquent pour une vibration, c’est d’imaginer une ligne noire sur le fond de couleur que vous avez imaginé (dans votre cas, un jaune chaud) et cette ligne va créer les contours de ce que nous serons durant notre temps partagé. Créez-nous une tête, un corps, deux bras, deux jambes… ah voilà parfait, vous venez de m’imaginer, merci. À votre tour désormais.

À cet instant, je vois mes mains dessinées à travers des traits noirs et assez gras. Un peu comme du fusain. En me penchant, j’aperçois mes jambes et des pieds sans doigt, comme si je portais des chaussures sans forme. Je palpe ma tête ou plutôt mon crâne, rond. En descendant vers mes oreilles, je sens qu’elles existent mais pas trop à quoi elles ressemblent.

  • C’est toujours perturbant au départ mais vous allez vite vous y faire, me dit la voix…qui se trouve derrière moi.

En me retournant, je découvre à peu de choses près, un personnage me ressemblant en tout point. Par contre, elle est dotée d’une sorte de petit chapeau en papier plié, laissant apparaître une chevelure de fusain de quelques traits de chaque côté.

  • Ah cool, merci pour le chapeau, c’est fun, me dit-elle ?
  • Je ne vous ai pas donné ce chapeau mais de rien.
  • Ah si ! c’est vous qui l’avez imaginé, sinon je n’en porterais pas, rétorque-t-elle rapidement.
  • …C’est donc moi qui crée tout ceci.
  • Exactement, vous commencez à introduire l’idée que nous existons dans votre imaginaire.

Ressentant terriblement l’envie de m’asseoir, une chaise se dessine et j’y pose mon séant. Je viens bien de penser « mon séant » ? Consciemment ou non, j’en dessine une pour mon interlocutrice. Face à face, je ne sens aucune peur, aucune gêne mais toujours une incompréhension. Mais celle-ci commence doucement à se dissiper en certitudes.

  • Je suis morte c’est ça ? dis-je en tenant de capter une émotion sur le visage enfantin sans expression de mon interlocutrice.
  • Mmmh… non et oui. En fait, je n’en suis ni sûre ni certaine. Pour carrément dire, je n’en sais rien du tout. Peut-être avant la naissance, peut-être après la mort. En réalité, la réponse se trouve en vous. Mais ne cherchez pas. Vous ne la trouverez pas. Pas maintenant en tout cas. Il faudra d’abord comprendre le pourquoi nous sommes réunies et puis seulement, trouver la bonne fréquence à laquelle vous rattacher. Ça peut prendre du temps.
  • Comment tu t’appelles ?
  • Ah, tu veux me tutoyer ? Oui, ça sera mieux. Appelle-moi à ta convenance.
  • Je décide tout ? Absolument tout ?
  • Carrément. Si par exemple, tu veux…

Lui faire lever les bras, ça fonctionne.

  • Bon sang, comment est-ce possible ? en m’exclamant très fort et en faisant de grands gestes.
  • Tu veux bien me baisser les bras d’abord s’il te plaît ?
  • Oups oui, pardon.
  • Pas de problème, c’est neuf pour toi, répond-elle en s’étirant. Pour ma part, je l’ai fait et je le fais des milliards de fois en même temps. Je suis habituée.
  • Tu veux dire que tu es partout à la fois ?
  • C’est ça, oui. Je crois que les Humains appellent cela l’inconscient mais cela n’est pas vraiment bon comme description. Je suis comme une fréquence sur une ligne, sur un encéphale plat. Tu comprends ?
  • …C’est flou mais oui, je vois. En bref, je te donne vie et…
  • Sens. Donc, si tu souhaites aller plus loin, il va falloir me prénommer. Et je sens que tu vas donner un joli nom.

Elle a un sourire ligné de noir. Si dans ce monde inconnu, elle est ma référence, alors je l’appellerai :

  • Constance, dis-je dans un murmure qu’elle seule peut entendre, bien que nous soyons toujours seules.
  • Constance la Fréquence. On ne me donne pas un nom aussi original tout le temps, pas mal. Et toi ?
  • Euh je ne sais pas. Bizarrement ton prénom m’est venu d’instinct alors que le mien m’est inconnu.
  • Trop marrant que tu parles d’instinct. Vous, anciennes ou futures vies, revenez toujours à l’instinct que vous ne connaissez pourtant pas. Sincèrement, aucun nom te fait envie ? ici, tout t’est permis.

Alors, mon nom me vient à l’esprit… ou l’instinct, c’est selon.

  • Je serai Permission, la vibration. Ça te plait ?
  • Oh cela ne doit pas me plaire à moi. Uniquement à toi seule. Tu sembles ne plus avoir peur. C’est un bon pas.
  • Il n’y a rien autour de nous, Constance. Je ne saurais pas avoir peur de rien, je me trompe ?
  • Hahahaha, tu es une âme plus maligne que d’autres Permission, je dois dire. C’est très juste, rit-elle tendrement.
  • Merci. Mais il va falloir que tu m’éclaires…enfin que tu m’expliques réellement sur ce qu’on fait ici.
  • Bien, tu commences déjà à raisonner différemment donc tu es prête. Imagine… une ligne noire comme nous la voyons actuellement. Elle n’a ni début, ni fin et chaque interaction, chaque geste, chaque mot que nous employons fait vibrer cette ligne.
  • Un peu à la manière d’un vibrateur électrique qui mesure la tension ? en m’hasardant sur les mots.
  • Voilà, c’est l’idée, me répond Constance. Ce sont les vibrations auxquelles viennent se rattacher les fréquences. Les fréquences sont ces espèces de limites qui permettent la répercussion pour produire un son. Et ce son, c’est ? Pour voir si tu as vraiment compris…
  • Par exemple la discussion que nous avons actuellement ?
  • Exactement ! s’exclame ma seule amie, oserais-je l’appeler de la sorte ? Donc, l’un ne peut exister sans l’autre. Sans vibration, la fréquence n’émet pas. Sans fréquence, la vibration émet dans le vide.

Je ne peux m’empêcher de rire nerveusement avant d’être ironique.

  • Hahaha…oui d’accord. Mais dis-moi Constance…Qu’est-ce que j’ai à voir avec cette théorie ? Je veux dire, je ne suis pas Dieu ou que sais-je.
  • Ah tu le connais, Permission ?
  • Qui ?
  • Dieu !
  • Non.
  • Alors, tu ne sais pas qui il ou elle est ?
  • Non plus, en m’hasardant sur les mots.
  • Donc…
  • … Je ne peux pas affirmer que je ne le suis pas ?
  • Et tu l’es ?
  • NON ! Certainement pas, m’écriant comme si quelqu’un d’autre pouvait m’entendre.
  • Pourquoi ?
  •  …beh je le sais c’est tout !
  • Donc, si tu n’es pas Dieu ma chère Permission avec tant de certitudes, comment peux-tu être sûre que tu n’as tout de même pas rôle à jouer dans cette histoire, ton histoire ? Celle que tu joues en ce moment-même ?
  • …Constance, qui es-tu pour être si réfléchie ? Ou du moins, comment peux-tu ne pas savoir qui tu es, si je lis bien à travers ton regard ? tu sembles emplie d’une infinie sagesse.
  • Oooh, Je ne le sais pas, comme tu le dis. Peut-être que je suis issue du cerveau d’un esprit tordu, un écrivain qui doit bien nourrir les racines par la terre. Peut-être suis-je moi-même le résultat de la rencontre d’une vibration et d’une fréquence. Ou bien je n’existe pas et tu m’imagines pour palier à ta vérité ?

Sa dernière proposition a le don de m’interpeller. Pourtant, oui, cela fait tellement sens.

  • Prétends-tu que je t’invente, Constance ? Je veux dire, tu l’as dit tout à l’heure mais tu sembles indépendante.
  • Non, tu ne m’inventes pas. J’existe mais à travers toi. Je suis ta fréquence. Tu vas devoir te connecter à moi, soit pour renaître. Ou mourir. Mais rester dans ce monde avec moi à tes cotés ne sera pas possible éternellement. Il n’y a ni début, ni fin sur la ligne. Mais toi et moi n’en verront qu’un morceau. Bien que le mien sera beaucoup plus long que le tien. J’étais là avant toi Permission, je serai aussi là après toi.

Je veux saisir sa main à l’improviste. Mais c’est impossible. Lorsque je tends le bras dessiné, Constance semble s’éloigner.

  • Constance, laisse-moi te toucher pour que l’on se connecte, voyons !
  • Je suis désolée Permission. Mais cela ne fonctionne pas de la sorte. Ce serait beaucoup trop simple, tu imagines bien, pourtant non ?

Il est vrai que je me suis précipitée. Résoudre cette équation ne pourrait pas s’avérer aussi facile. Il va me falloir utiliser des cellules souches à invention. Comme si je fermais les paupières pour les créer plus fortes et plus encore, je dessine des traits sur mon crâne. Comme un cerveau en ébullition. Comme une rivière de pensées et de réflexion qui s’écoule dans mon petit corps à cheval sur la ligne. Cette ligne d’ailleurs, je le remarque seulement, se situe à travers la place de mon hypothétique cœur.

  • Non, non, il n’est pas hypothétique. Tu as bien un cœur. C’est juste que celui-là ne bat comme boum, boum…bouboubouboum…boum boum.
  • Constance, tu lis dans mes pensées !!?
  • Pardon, c’était trop tentant. Mais tu n’attendais tout de même que ça.
  • Certes… Mais nos cœurs sont liés par cette ligne non ? C’est ça, cette ligne dont tu parlais ? Sans début, ni fin.
  • Exactement ! L’idée de te créer un cerveau, ce n’est pas si courant chez les anciens ou ex-humains. C’est même salutaire. Peu, hélas, y pensent, ajoute Constance, avec de l’amertume dans la voix. Depuis le temps que je fais ce boulot, j’en ai rencontré assez peu.
  • Constance, depuis combien de temps sommes- nous là ? J’ai des souvenirs depuis le début de notre conversation. J’ai le sentiment que l’on se connait depuis très longtemps pourtant.
  • …Deux jours ? Une semaine ? Huit mois ? Cinquante ans ? ou à peine quelques minutes comme tu le penses ?
  • De nouveau, moi seule connaît la réponse…dis-je sur un ton oscillant entre l’affirmation et la question.

Constance m’observe sans me donner d’indication sur le fond de ma remarque. J’en suis certaine, nous sommes là depuis peut-être l’éternité. Peut-être suis-je morte et j’étais en vie sous Napoléon. D’ailleurs, c’est qui lui ? Comme le connais-je ? Si je connais son nom, je ne peux être née avant lui ? Ou alors le temps se tord encore plus que l’esprit de cet écrivain qu’elle a évoqué. L’esprit de l’écrivain ? Mais… Mais oui ! Et cela était la clef qui permet de tout relier. L’imaginaire ! Puisque je peux tout me permettre, je dessine alors du regard un chêne immense juste à côté de nous. Je ne sais pas pourquoi mais un chêne. Il apporte une présence dans ce vide ocre et au plus profond de moi, il va m’aider à établir ce lien entre cette vibration et cette fréquence. Je lui imagine des racines complexes et entrelacées pour lui rendre grâce, puissance et force. Constance l’observe avec admiration. Un sourire naît sur ses lèvres de fusain lors qu’elle voit les racines passer en-dessous de nos pieds sans doigts. Nous créant ainsi un faux sol. Dès lors que nos jambes touchent chacune une racine, un second lien, hormis la ligne de cœur qui nous traverse, se crée.

  • Waw, s’exclame Constance, c’est majestueux Permission !

Elle s’extasie devant les feuilles de l’arbre, si étrange dans leur conception, avec des formes arrondies sur plusieurs ramifications de chaque structure qui compose chaque feuille. L’arrondi gauche répond à celui de droite de manière équidistante, de même longueur et de mêmes nervures. L’écorce semble impénétrable, comme millénaire, insondable …comme le passé et le temps qui passe. Je comprends alors pourquoi ce chêne m’est venu en tête…enfin, à l’esprit si l’on pourrait le qualifier de la sorte.

  • Constance, ne trouves-tu pas étrange que moi seule puisse créer… ? Je veux dire, nous étions là sans l’être. Tu m’as demandé de nous donner une forme. Ensuite, j’ai fait le reste, la chaise comme cet arbre. Si tu es là depuis si longtemps, pourquoi ne te connais-tu pas mieux ? Peux-tu aussi créer des choses ?

La fréquence semble un peu éperdue par mes réflexions. Comme si elle ne s’y attendait pas. Si des milliards d’êtres ont croisé sa route, elle devrait être surpuissante. Elle est pleine de sagesse mais telle une sagesse qui s’ignore.

  • Créer un arbre comme tu viens de faire ? Euh, je ne sais pas trop pour être franche. Je sais que je dois me connecter à toi mais c’est à toi de trouver la solution. Regarde mon manuel.

Elle me tend un feuillet sur lequel est écrit simplement « Toi Fréquence = Autre Vibration. Faire résonner ». Dans le genre plus simple comme règle… Je lui rends, elle le jette dans le vide ocre après l’avoir chiffonné.

  • Oui, d’accord ça, je comprends Constance. Mais n’as-tu jamais eu envie de créer toi aussi ? Ce que tu souhaites, un train, un écureuil, une forêt, une mer, bref tout ce qui te plaît ? Ce que j’essaie de t’expliquer c’est pourquoi restes-tu si seule alors que tu me dis être là depuis le début et que tu le resteras jusque-là fin ? La solitude ne pèse pas plus que ça ?
  • Je rencontre des milliards d’êtres chaque nanoseconde. Je suis certainement la personne la moins seule du Multivers.
  • Mais te souviens-tu d’eux ? Chaque être que tu croises ?

Elle semble confuse par mes remarques. Je sens son regard se concentrer.

  • Je ne peux hélas pas te donner tort Permission. Mais nous sommes là pour que tu trouves la solution. Pas moi
  • Constance, pour moi trouver cette solution, il faut que tu me prouves que je puisse te faire confiance…
  • pffff… soupire-t-elle… Bon d’accord, qu’est-ce que tu veux ?
  • Crée ce que tu souhaites. Simplement.
  • N’importe quoi ? Ce que tu as envie !!

Elle ferme les yeux… et durant un long moment, il ne produit absolument rien. Je préfère garder le silence pour ne pas la perturber. Peut-être n’a-t-elle plus l’habitude à force de laisser les autres le faire à sa place. Et soudain, elle ouvre les yeux. Ce que j’y lis est un sentiment qui me fut proche dans un passé lointain que j’ignore de prime abord. La panique.

  • En fait, je crois que tu as raison, Permission. J’ai beau essayer de me représenter un lion par exemple, une chèvre ou une simple voiture. Je sais ce que c’est mais il m’est impossible de les créer. Comment est-ce possible ? Si je suis là depuis le début, je devrais pouvoir le faire.
  • En fait…peut-être ne l’as-tu pas toujours été… Tu te souviens de ton plus vieux souvenir ?
  • Que veux-tu dire, Permission ? Mon plus vieux souvenir ? oufff !!! Cela remonte si loin…

Je commence à la connaitre un peu et je sens qu’en réalité, elle n’en a aucun. Je dois tenter ma chance maintenant.

  • Si tu es apparue car je me suis retrouvée dans cet endroit, certes confortable mais pas spécialement amical et que comme tu l’as dit, tu vis à travers moi, en ne sachant pas d’où je proviens, ni où je vais, alors que je crée ce qui nous entoure et que je dois relier ma vibration à ta fréquence… Ne penses-tu pas qu’il soit possible que ce soit moi qui suis depuis l’éternité ici, Constance ?

Son regard prend alors une forme que je ne lui connaissais pas encore mais que, pour ma part, j’ai aussi rencontrée dans le passé : celle de la peur, la terreur.

  • C’est…enfin je…mais tu…

Et celle de la confusion également …

  • Non, Permission, comment aurais-je pu t’aiguiller sur ce que tu dois faire ? Je t’ai montré l’instruction sur la feuille.
  • Justement…Rien ne me dit qu’elle n’est pas une instruction destinée à moi, Constance…

Si j’étais boxeuse, je dirais que ses yeux expriment le knock-out au quatrième round.

  • Je n’en ai pas la moindre idée, dit-elle en laissant les larmes couler le long de ses joues inexistantes. Tu m’as bousculée avec tes questions et fait perdre mes certitudes. Je sais ce que je dois dire et faire mais pas au-delà. Comme si j’avais un rôle au cinéma mais sans réplique, comme une feuille mais sans arbre, comme une vibra…Comme une vibration sans sa fréquence, en l’interrompant. Constance, c’est toi qui me cherches, pas l’inverse. Tu es la vibration et moi la fréquence. Tu m’as inventé pour survivre à quelque chose, sans que je puisse l’identifier pourtant. Ce n’est pas moi qui me dois me connecter à toi, mais le contraire. Les yeux, c’est toi ma Constance qui va devoir les ouvrir. Les miens resteront en toi à jamais, sans même que tu le saches. Ton feuillet n’est pas une instruction mais un appel à l’aide. Tout comme c’est toi qui me fais vivre…

En énonçant ma théorie, je sens une vague de mélancolie s’emparer de mon petit être dessiné. Si Constance comprend ce qui lui arrive, je me retrouve condamnée à l’extinction. Ou bien, vais-je réapparaître dans une autre âme… Dans cette histoire, je suis l’âme de Constance. Sans même qu’elle ne s’en rende compte. Sans cela pour te donner à toi lecteur un exemple, je ne pourrais pas créer ce paysage montagnard avec un lac immense dans sa plaine. Et ce, même dans ta tête. Dans ton histoire, je suis ta constance. Si c’est pour partir, je vais m’offrir le cadre le plus merveilleux, tu veux bien ? Je stoppe le temps qui nous entoure toi lecteur (oui, toi !), Constance, le chêne et moi nous trouvons désormais en haut de la colline de cette montagne. Je ne sais pas la forme que tu revêts. Choisis la bien, veux-tu ? En surimpression, la ligne de nos cœurs est toujours bien visible et je vois qu’elle passe par le tien aussi. Un soleil chaud et ocre illumine cette vallée que Constance a besoin, sans même le savoir. Elle se lève de sa chaise… Elle ne te verra pas lecteur, juste moi. C’est son histoire avant tout.

  • Permission, c’est vraiment toi qui dois me sauver tu penses ?
  • Je ne sais pas si je dois te sauver mais je sais que ce n’est pas ton rôle.

Je lui tends le bras. À cet instant précis, le sol se met à trembler. Il se passe un évènement dans la tête de Constance qui crée ce tremblement. Mon passage, ma voie avec Constance approche de sa fin. C’est drôle. J’ai l’impression de ne la connaître que depuis sept pages alors que son rayonnement m’accompagne depuis sa vie et celle d’avant encore. Dans ce décor faramineux, je ne suis que ce dessin au fusain. Elle n’est qu’une projection en fusain. Et pourtant, je suis sa fréquence et elle ma vibration. Dès que nous nous effleurerons, je suis incapable de comprendre ou d’expliquer ce qu’il va se produire. Toi, mon lecteur, toi ma lectrice peut-être, tu as le rôle d’imaginer la fin de cette histoire avec nous. J’aimerais tant être dans ton imagination et voir ce qu’il va s’y passer. Constance me regarde, je sens la peur irradier autour de son petit corps.

  • Permission, tu es sûr que ta fréquence est parfaitement réglée ? Parce que si je tombe dans un trou de ver, je ne serai jamais retrouvée.
  • Il ne tient qu’à toi de t’assurer ma fréquence, Constance, lui répondant ceci d’un ton naturel alors que je ne sais pas d’où cette phrase est venue. Peut-être suis-je en train de la dire un million de milliards de fois en même temps.

Constance observe la vallée et se tourne vers moi, vers nous. Si toi mon lecteur ou ma lectrice tu fermes tes yeux en ce moment précis tu t’imagines la scène et je l’espère tu ressens cette millième d’émoi te traverser. Un jour ce sera toi à la place de Constance. À un moment sur cette ligne sans début ni fin, nous ferons un bout de chemin ensemble. Court, long, intense ou bref, nous nous rencontrerons et ce sera alors à toi de me transmettre le feuillet. Je suis curieuse de m’imaginer la forme que tu me donneras. Garde la pour toi jusque-là. Ne la révèle à personne.

  • Merci Permission. J’espère te revoir un jour.
  • Nous nous reverrons, je pense.

Constance tend son bras sans main vers moi. Je fais de même et le tremblement de terre envoie tout en l’air. Chaque roche, chaque goutte d’eau, chaque arbre, chaque brindille d’herbe s’élève vers le ciel et l’ensemble comme à tourbillonner. Le vent qui nous emporte est chaud. Rassurant. Instinctivement, Constance agrippe ma seconde main. La fréquence entre en vibration. L’encéphale plat vibre à la fois alors que le tourbillon accélère à chaque seconde. Jusqu’à la rencontre de l’âme et de son corps. L’œil s’ouvre. Je n’ai pas oublié. Mais toi, oui.

  • Tiph

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *