Au final, on revient toujours à elle. Sans même s’en rendre compte. Elle est partout autour de nous, sur nous et en nous. Elle nous entoure, nous enveloppe toute notre vie et quand nous mourrons, nous lui revenons. À la fois, elle nous apporte inconfort et rassurement. Combien d’entre nous sont contents de la chaleur qu’elle peut créer chez nos grands-parents par exemple ? Alors qu’elle nous fait éternuer, avoir les yeux rouges. Mais elle embaume nos souvenirs et dans son ADN se marquent les traces du passé. Quand c’est poussiéreux, bien souvent, c’est vieux. Ancien. C’est pour cela qu’elle connaît nos secrets enfouis, au fin fond de notre cerveau reptilien et les garde cachés, à l’abri des regards obséquieux.
Tirant son nom de l’écrivain américain John Fante, Demande à la Poussière est une plongée boueuse au fond de l’esprit, remplie de cette pellicule en suspension dans l’air. À la recherche de réponse(s) à la question qui nous taraude tous : qu’y a-t-il après ? Ou du moins y a-t-il un après ? Les Parisiens trifouillent leur inconscient sur Quiétude Hostile et en extraient des cendres de poussière qu’ils ont mis en composition. À mi-chemin entre Regarde Les Hommes Tomber et D E L U G E, ils viennent s’imbriquer avec les brillants Maïeutiste ou Moonreich dans un paysage sombre avec cette marque de fabrique du genre très noir. On pourrait aussi citer Vesperine. Fange. In Cauda Venenum. En fait la scène extrême française se porte plutôt pas mal ces derniers temps, non ?
Après un album éponyme en 2018 (que je n’ai pas encore écouté, je me dois de vous être sincère), Quiétude Hostile est sorti fin mars dans un cadre culturel assez particulier. Privés de scène, des milliers de groupes se rabattent sur l’exercice de l’enregistrement en attendant des jours meilleurs. À l’exploration de ce visuel, je n’irai pas jusque garantir que les jours meilleurs seront au programme, notre humanité en effondrement en témoigne. Cette image me fait penser à certaines expériences psychologiques ayant littéralement transformé des humains en monstruosités innommables. En somme, Demande à la Poussière vise l’exploration de cette poussière détenant les clefs de notre schéma. Et pour rappel, le mot en lui-même, « schéma », dérive du latin et a pour signification « figure ». Maintenant, vous vous replongez dans le visuel. Que vous frappe le plus dans cette image ? Déroutant, vous ne trouvez pas ?
Le schéma justement efface toute trace d’humanité dès les premières secondes de « Léger Goût de Soufre ». On se retrouve comme plongé dans une caverne où règne le chaos. Et dans le chaos stagne cette poussière noire et volatile. La respiration sous terre est très difficile, il paraît. Je n’ai jamais essayé, mais ça donne envie. « Morphème » envoie ce riff puissant et destructeur et pose les bases d’un sludge très éthéré et violent. Les pointes black metal sont loin de me déplaire. Le clip « Éréthisme » donne à l’enfer un goût rocailleux. Pour info, l’éréthisme est la surexcitation d’un organe. Çela nous mène vite vers quelque chose de sanguin et pas forcément sexuel. Ce qui va nous amener sur l’éponyme « Quiétude Hostile » et ce rythme très post-metal dans l’approche, black dans son fond. La démonstration à la batterie est comme cette porte qui carillonne en entendant l’homme venu mourir. Le Malin en personne se rend sous terre aujourd’hui. Je vous laisse quelques minutes avec vos angoisses.
« Perdu », la plage suivante, s’ouvre comme une complainte anonyme. Une sensation de répit dans le mal. Une brèche impalpable vers un esprit saturé, torturé et dérangé. Peut-être l’approche la plus progressive de l’opus. La montée en puissance va prendre son temps pour tout englober. Comme une amorce vers la fin du voyage. Et peut-être enfin les réponses ? Ça, il faudra encore aller plus bas pour espérer ne fut-ce que s’en faire un concept. Soyez attentif au sample avec un discours de Françoise Sagan, peu après la moitié. « Écrire, c’est remuer la poussière de son cerveau pour la faire léviter » il m’arrive de dire. Elle me conforte dans mes ressentis.
Le doom sludge s’invite à la réflexion sur « Bois de Justice ». Et pour la première fois, du chant clair qui nous laisse entrevoir un humain derrière le monstre. Ou serait-ce l’inverse ? Bref, la compo va ralentir jusqu’à l’expropriation de l’âme de l’auditeur. On se sent comme happé par le sombre et entrainé vers le bas. À cet instant précis, il reste quinze minutes. Les six premières sont occupées par le dantesque et libératoire « L’oubli du Contrasté ». Sorte de pamphlet semi susurré, semi hurlé à la structure alambiquée. Le rythme n’a de cesse d’évoluer, il faut plusieurs écoutes pour en saisir son contexte, son sens. Enfin, il reste les neuf minutes d’« Expiravit ».
Pour conclure cette Quiétude Hostile, on ne pouvait espérer qu’un morceau long, lent, lourd progressif et surfant sur toutes les lignes que l’on a traversé pour arriver à ce stade de l’album. La récompense va être ce solo de saxophone subtilement placé pour augmenter cette sensation de ne pas se trouver à sa place. Une chaleur enveloppe les dernières secondes. Le mal estompe. En suspens dans l’air, une saveur de trop peu. Un trop peu qui en redemande bien entendu. Si l’opus se veut résolument violent et cathartique, le final est pourtant d’une cohérence avec son contenu global.
Dans ce marasme sonore, le groupe parvient à donner un sens précis à ses recherches. Dans ce marasme sonore, le groupe parvient à chanter en français ses réflexions, ses angoisses, son mal et ses craintes. Dans ce marasme psychologique, ils parviennent également à nous poser devant un miroir et, nous forçant à faire face à notre propre moi. Regarder dans les yeux de cet inconnu en face de soi et lui poser la question que l’on se pose tous à un moment dans notre vie : y a-t-il un après ? Après quelques écoutes de Quiétude Hostile, de mon coté, je vous répondrai de demander à la poussière. Elle en connait plus que moi, vraisemblablement.
Bonne écoute.
- Tiph