Post Rock, Post Metal Doom, Sludge, Trip Hop, Prog, Mathrock, Chaotic Hardcore. Des mots tout cela, des étiquettes. Laissez-vous guider par mes émotions. Orienter les vôtres et vous donner de quoi rêver. Planer ou encore vous déchaîner.

Le duo français Accalmie vient de sortir son premier album Semaine de huit jours. Proposant un drone ambiant très contemplatif et une incursion dans la musique électronique et visuelle, je me suis laissé à l’exercice de la mini nouvelle, comme j’aime parfois le faire, sans aucune restriction d’idée. Cette histoire a été inspirée directement par cet opus fantastique, ce visuel et cette atmosphère. Je vous propose de la lire en écoutant l’album pour en maximiser l’expérience.

Bonne lecture.

 

 

2053.

– Thomas pour Clément, comment ça se passe là-dehors ? En visu, tout paraît bon. Terminé.

Clément termine la réparation sur la Station Spatiale Française, la S.S.F., première station exclusivement française, en orbite autour de la Terre. Déjà trois heures de travail intenses, en apesanteur, la tête à l’envers, des sueurs importantes dans le dos, sur le front. Chaque geste dans le vide qui nous entoure peut-être le dernier. Spécialisé dans la soudure de haute voltige, Clément avait embrassé cette carrière inattendue à l’aube de ces trente-cinq ans.

– Clément pour Thomas, la griffe aurait pu se révéler plus grave mais aisément résorbable. Encore trente minutes de travail. Terminé.

La concentration est la clé dans ce milieu hostile à la vie. Car oui, si la vie s’est développée un jour sur notre planète, là-haut rien ne peut subsister. Pourtant le spectacle qui s’offre aux yeux de Clément à chaque sortie lui rappelle que notre Terre est précieuse, magnifique, chaleureuse et enivrante. La seule de ce système solaire qui a accepté l’humanité.

Âgé de quarante-huit ans et expérimenté dans les sorties spatiales, personne ne pourra jamais répondre à cette question. Que s’est-il passé en ce jour du 14 août 2053 où Clément a scié sa propre ligne de vie. Déjà parce que lui-même ne le comprend pas. Trop occupé à admirer la Terre, peut-être, à songer à sa fille enceinte ou sa femme attendant son retour sur le globe. Mais subitement, il dérive. Thomas paniquant mais en gardant son sang-froid, parle dans la radio :

– Bordel de merde, Clément, au rapport immédiatement, que s’est-il passé ? J’enclenche la procédure d’urgence, essaye de te rebooster en sens inverse. Il me faut quinze minutes de réactivité. Fais de grands gestes, essaye de te lancer.

– Je…je ne sais pas Thomas, je vais trop vite et je voltige en cercle, le coup de scie m’a propulsé, tu ne pourras pas me rattraper.

La peur se lit dans la voix de Clément. Souvent, il s’était imaginé mourir dans l’espace, par explosion, par un retour sur Terre mal négocié. Mais pas à la dérive, prisonnier de son scaphandre, à observer son vaisseau, sa planète et sa vie lui échapper de la sorte. Condamné à mourir asphyxié ou d’ouvrir son casque pour abréger ce cauchemar.

– Clément, je vais venir te chercher, reste calme, ça va aller, intervint Thomas, pour essayer d’apaiser la tension extrême qui habitait désormais le vaisseau.

– Thomas, je dérive vraiment trop vite, jamais tu ne parviendras à me récupérer. Ne… ne risque pas ta vie…Embrasse ma femme et mes enfants s’il te plaît et dis-leur que je les aime…

– Non, proposition non négociable, j’enclenche la procé…

Mais Clément n’écoute pas le message de Thomas. Il vient de couper sa radio, seul moyen de faire croire à Thomas qu’il a opté pour le suicide… Clément pleure. Le taux d’oxygène restant lui indique quatre heures. Quatre heures à dériver et voir ce qu’aucun autre être humain n’a vu de ses propres yeux avant de mourir. Même Mars, toujours inviolée, reste une image aux yeux de l’Humain.

Déjà près de deux heures que l’accident s’est produit. Clément ne réalise pas à quelle vitesse il dérive mais cela reste agréable, malgré le désespoir de la situation. Le vaisseau a disparu, la Terre devient un point bleu. Le néant a envahi toute la visière, seul ce point bleu, qui revient en alternance, reste le dernier repère. Même le soleil, pourtant un astre énorme, semble déjà un point froid. De loin… très loin. Les étoiles semblent même moins visibles que sur Terre.

Soudain, un choc dans le dos de Clément. Comme si sa chute sans fin subitement connaissait une fin, une issue. La planète bleue et le soleil figés dans la visière au loin. La buée s’accumule et bouche la vision de Clément. La peur, la déroute et surtout l’incompréhension s’empare de lui. Risquant sa main gauche sur son flanc, celle-ci est stoppée sur une surface…

-C’est quoi ce délire ? se dit-il pour lui-même.

En prenant appui, Clément se retourne mais ne constate que l’outrenoir. Le noir plus noir que le noir. À tâtons, il se déplace sur cette surface qu’il pense être…une sorte de tôle.

– Mais qu’est-ce que…

L’espace n’a pas de fond. Le vide est absolu. Il n’y a pas de son. Clément tambourine et sent une résonance. Cela n’a aucun sens, il est totalement perdu. La transpiration extrême l’empêche de voir correctement. Et pourtant bien même, il ne devrait pas voir ni sentir quoi que ce soit. C’est alors qu’il perçoit à travers son gant comme la jointure entre deux tôles. Complètement paniqué, il cherche quelque chose sans trop savoir que chercher. Et là, il la trouve. Une poignée de porte. En tirant dessus, il s’attend à tout sauf à voir ce que ses yeux découvrent.

Il y voit comme une sorte de charpente, traversée de gauche à droite et droit devant de lui de colonnes, d’échafaudages, des chemins de câbles sur des dizaines, des centaines d’étages de haut en bas. Cela ressemble à une immense usine. Enfin, cela s’en rapproche. Au loin, une lumière bleutée à la fois aveuglante mais supportable de loin. La porte donne sur une passerelle de métal d’un peu moins de deux mètres de large. Des néons bleuâtres illuminant chacune d’entre elle à intervalle de quelques mètres. Tant vers le haut que le bas, il n’y a pas de fond. Clément peine à croire ce spectacle, il tente de rallumer sa radio.

– Clément pour Thomas, s’il te plaît bon sang, dis-moi que tu m’entends. Terminé.

Mais même les grésillements ne lui répondent pas. L’idée lui vient de se propulser vers la Terre pour avertir l’Humanité. Mais alors qu’il se pensait mort et perdu à jamais, le voilà devant la plus grande…découverte de l’Histoire ? À moins que.

– C’est pas possible. Je dois… non je rêve bordel.

La curiosité est plus forte. Tellement forte qu’il en avait oublié le niveau d’oxygène. Revenir sur Terre n’est plus envisageable. Dans tous les cas, quitte à mourir, il va devoir entrer… ou sortir ? Et ouvrir sa visière. Délicatement, il pénètre dans ce nouvel univers et réalise qu’il y a de la pesanteur. Ce sentiment décuple ses angoisses. À cet instant, il comprend et de toute façon, il n’a plus le choix, il faut ouvrir le casque. Il plisse les yeux en déverrouillant et soulevant la visière… Et réalise qu’il y a de l’air dans cette atmosphère.

– PUTAIN DE…PUTAIN DE MERDE, miment ses lèvres au plus bas, aspirant de grandes bouffées d’air.

Mais il faut rester sur ses gardes dans ce milieu étrange, hostile. Enfin, hostile. Il n’y a personne. Pas de bonhomme vert, pas d’alien ni monstre innommable. À vrai dire, les structures paraissent… humaines. Il marche dans l’expectative d’une rencontre…

NDLR: si l’auteur de ce splendide cliché peut nous signaler son nom 😉

– Il y a quelqu’un ? Anybody here ? Hello ??

Il doute de tomber sur un être parlant français ou anglais. Et puis… enfin, un son lui parvient. Très loin. Un air qu’il connaît assez bien.

– Mais… non !!

« Eight Days a Week » des Beatles. Oui, les Beatles. Le groupe l’un des plus connus sur Terre, est diffusé aux tréfonds de l’espace. Clément ne sait même plus si la situation est loufoque ou surréaliste. Mais elle se produit, elle existe. Il progresse de plus en plus en étant persuadé qu’il a pénétré un univers alternatif. Ou qu’il est mort. Ou agonisant. L’absence de présence extra-humaine le laisse cependant perplexe. La passerelle laisse subitement un accès vers la gauche, s’enfonçant à perte de vue vers le bleu infini, d’où provient la chanson. Clément n’a plus peur, il s’avance dans le néant bleu et chaque pas faire baisser le volume de la chanson pour le supplanter par quelque chose d’autre. Une sorte d’ambiance relaxante, remplie de subtilités et… comme si la lumière vibrait pour onduler en créant des vagues d’un million de couleurs vers le bas. C’est là qu’en suivant les couleurs, Clément les aperçoit. Deux formes sur une plateforme, face à face, des milliers de boutons devant eux, en train de trafiquer il ne sait quoi. Mais il en déduit que cette musique part de ces engins. Il en est stupéfait. Jamais il n’aurait imaginé voir, ressentir ces centaines de fréquences et vibrations colorées de mille sens. Bon sang, le rythme de son cœur ralentit jusqu’à une forme d’apaisement suprême…

Mais soudain, les deux formes regardent dans sa direction. D’abord, un soupçon de panique le traverse mais Clément ne perçoit aucune animosité. Elles ont des formes humaines mais pas de visage. Délicatement, elles défient la loi de cette gravité restreinte pour s’envoler vers Clément. Se postant face à lui, flottant dans le vide. Toutes deux fixent Clément. Et là, l’astronaute le sait, comprend que les mots ne servent à rien. Ils ou elles n’ont pas de bouche, aucun mot ne pourra décrire cette rencontre. L’un d’entre eux indique à Clément de la main à se plonger dans le vide. Les millions de couleurs issues des machines un étage plus bas continuent de scintiller. Le bleu infini s’étend aussi vers le bas.  Clément hésite une seconde. Mais sait également pertinemment qu’il n’y a rien à craindre. Il ferme sa visière malgré le manque de recharge en oxygène et se lance dans le vide. Chacune des formes attrape ses mains. Elles invitent Clément à dresser le menton. S’engagent alors une descente. Une descente vers le bleu éternel et infini. Les millions de couleurs parcourent chaque chemin de câbles, chaque passerelle. Le spectacle est plus que sensationnel.

La descente s’amorce doucement de plus en plus vite, Clément ne sait pas ce qu’il se produit mais il sait que même s’il doit mourir,  cette mort-là est celle que chaque être souhaiterait recevoir, payerait pour connaître. Les millions de couleurs se mélangent aux mille teintes de bleu. Les deux formes lâchent Clément, qui les voit s’estomper dans le vide jusque son absorption totale. Tout tremble, Clément est peut-être en train de dépasser la vitesse de la lumière, un tunnel se forme autour de lui, l’accélération devient assourdissante… jusqu’à ce râle immense lui sortant de la bouche, Thomas penché sur lui, ôtant son casque. Clément est allongé dans le sas de la S.S.F.

– Clément, respire, calme-toi, tout va bien, je t’ai récupéré à temps, dit-il haletant, grand sourire sur le visage, en sueur.

– Quoi ? Mais c’est quoi ça ? Je suis où ?

– Dans ce qui s’apparente le plus de notre maison, vieux. Putain, tu m’as foutu une de ces frousses, qu’est ce que t’as foutu en coupant ta ligne de vie ?

Clément est livide. Fixant Thomas dans le bleu de ses yeux, il demande d’une voix tremblante:

– Thomas… combien de temps depuis l’accident ?

– Quoi ? Pourquoi ?

– Combien de temps, sérieux ?

Thomas reprend sa respiration. Apparemment, la situation l’a fortement chamboulé.

– Vingt-cinq minutes Clém. La seule et unique bonne chose que je vois dans cet accident que nous venons de prouver que la procédure d’urgence est fonctionnelle et permet un temps de réaction élevé. Quinze minutes pour me préparer et dix pour te récupérer grâce au propulseur d’urgence. tu as certainement eu un choc important, tu étais inconscient quand je t’ai récupéré.

Clément reste muet d’incompréhension. Il vient de passer à peu près quatre heures en dérive absolue dans le néant spatial, fait cette découverte ahurissante… et le voici de retour, face à sa planète, avec son collègue et plus qu’ami qui vient selon ses dires, de lui sauver la vie. Comment le temps a-t-il pu se distordre de la sorte ? Thomas se relève, tend la main à Clément pour l’aider également à bouger.

– Tu sais tenir sur tes jambes, ça va aller ?, dit-il, pas trop déboussolé ? On va t’ausculter pour voir si tout roule, ok ?

– euh…oui oui ok.

Clément décide de taire son expérience. Personne ne pourra jamais croire ce qu’il a vécu avec ses yeux, ses mains, ses sensations. Thomas, toujours choqué, se tourne vers Clément.

– Mais tu sais quoi ? On va d’abord boire une goutte de Cognac, on est plus en service après une frousse pareille, merde. Et se mettre un peu de musique aussi, ça nous fera du bien. Une période d’Accalmie avant de devoir justifier tout ce merdier, on en a besoin.

– Ouais…Ouais, bonne idée.

Après avoir enlevé les combinaisons et sorti du sas. Thomas lance la musique dans l’habitacle de vie. Les Beatles chantent en chœur « Eight Days a Week »…

Bonne écoute

  • Tiph

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