Lorsque l’on fait référence à la capacité d’une formation à se réinventer, à approfondir son expérimentation, à être capable d’auto-critique et de recul par rapport à ses propres œuvres, et surtout, ne pas proposer deux fois la même chose à son public, Obsidian Kingdom est le groupe qui me vient immédiatement à l’esprit. Une nouvelle fois, ils reviennent avec un Meat Machine qui est tout simplement une véritable tuerie, pour ne pas employer le terme boucherie pour rester dans le thème de l’opus.
En effet, le groupe qui sort aujourd’hui son troisième album, est devenu maître dans l’expérimentation musicale, graphique et conceptuel sur chacun de ses travaux en une quinzaine d’années d’existence. Mantiis, le premier album en 2012 était une sorte de long morceau divisé en quatorze segments très orientés post black metal. Pas question d’écouter l’un ou l’autre segment, l’oeuvre s’écoute en une fois et de toute façon, dès qu’on commence, on ne décroche plus, faites l’expérience. Quatre années plus tard, ils surprenaient leur public en balançant A Year With No Summer, une superbe et immense fresque progressive et post metal (sans growl) avec une production dantesque et un concept pharaonique. Sans exagérer, l’un des très grands albums sortis cette année-là.
Meat Machine pousse le vice encore plus loin. Il reprend les bases des deux premiers albums en y incorporant des éléments indus et sludge, pour former une sorte de progressif qui n’existe pas. Ou du moins, car j’y vais peut-être un peu fort, que je n’ai personnellement jamais entendu. Cette machine à viande imaginée à travers tout l’opus, mais aussi un visuel très puissant, symbolique et sujet à diverses interprétations, me rappelle un peu l’univers de Kraftwerk. Sûrement le coté rouge très développé. Il y a les couleurs de l’Espagne également. Quand on sait que l’Espagne a connu une crise économique, identitaire et populiste il y a peu, cet humain à tête de viande prend une envergure importante et une violence très imagée. Je vois peut-être loin mais pourquoi pas en fait ?
Violence que l’on rencontre dès les premières notes de « The Edge » où Rider G Omega s’époumone sans crier gare avec des arrangements de claviers très prononcés en arrière-plan avant de surprendre et calmer la composition en laissant place à une voix féminine (celle de Jade) pour finir sur des aboiements (viande=chien, logique limite). D’entrée de jeu, on s’y perd, cela surprend et on abandonne tout ce que l’on faisait pour se centrer sur ce qu’il se passe. « The Pump » et son flow très indus ne laisse pas indifférent. Le clip non plus. Il est tout simplement hideux mais parfaitement cohérent avec l’idée de viande humaine flétrie. Il a ce petit quelque chose nu metal inexplicable qui me branche à fond dans ce morceau.
On embraye sur de l’indus avec « Mr Pan » et des relents Nine Inch Nails qui ne sont pas pour me déplaire tout. Au casque, c’est un régal, le travail de fond est énorme. Le solo et le final valent le détour également. « Naked politics » est par contre en opposition de style. Plus progressif, plus « pop », pourtant pas moins travaillé du tout, que du contraire. Le morceau est plus complexe que les précédents et réclament plus d’attention. « A body is just a body…and a body is just a frame ». Cette phrase m’a marqué et rejoint ma théorie sur l’explication du visuel.
« Flesh World », le titre plus progressif de l’opus, respire un peu du Archive. La voix féminine domine le chant et on se laisse séduire par ce titre plus lancinant mais pas moins prenant. Une sorte de cérémonie se produit vers la fin du morceau. L’ambiance est glauque et va nous mettre en condition pour « Meat Star ». À ce sujet, je pense qu’il vaille mieux que je vous laisse regarder, non que dis-je, admirer ce clip à la fois intense, intriguant, conceptuel et subtil. Il faut le voir plusieurs fois pour en saisir le sens réel. Ou du moins, celui que l’on s’imagine. Niveau de la composition, c’est alambiqué et puissant. On ne résiste absolument, on se le repasse. Plus proche de leur second album dans ses tonalités.
Alors ? monstrueux non ? Je n’en ai pas encore parlé mais devinez qui est derrière cette production aussi massive. Magnus Lindberg évidemment… Le géant suédois soigne de nouveau d’ailleurs la production de « Spanker », très électronique indus dans l’approche tout en gardant cet approche prog. Ce titre serait sorti dans les années 90, je n’aurais pas été surpris.
On va rester dans cette veine sur « Vogue » avec un texte assez tendancieux, un riff un peu funk en arrière-plan pour tomber sur une sorte d’electro-rock vraiment sympa à écouter. Ce qui est génial comme je disais plutôt avec ce groupe est cette recherche permanente de nouvelles choses, même au sein du concept en lui-même. On approche doucement de la fin de l’opus et on ressent vraiment une progression depuis le début. Dans tous les cas, on ne s’ennuie jamais. On va débouler sur un « Womb Of Fire » qui a le don de me rappeler les heures de gloire de l’indus à la Marilyn Manson (jetez un œil à son nouvel opus d’ailleurs, il est génial). Une basse très prononcée, des arrangements électroniques et un refrain puissant. Il y a même un sale piano foutrement bien placé, renforçant l’ambiance sombre et glauque (je sais déjà deux fois le mot glauque). Le final de ce morceau est dantesque. Nous arrivons sur l’émouvant et puissant « A Foe », une conclusion parfaite à cet opus avec beaucoup de chant pour la keyboardiste Jade qui possède une superbe voix, se mélangeant parfaitement avec celle de Rider. Les dernières minutes sont très Floydienne version The Wall pour les connaisseurs de l’œuvre entière de Pink Floyd. Ce « A Foe » entrouvre une nouvelle porte pour le groupe : celui de la cinématique.
Pour vous dire la vérité, il m’a fallu quelques jours pour terminer cette chronique, un peu moins imagée qu’à l’habitude. En effet, ce Meat Machine est un chef d’œuvre total mais il demande beaucoup d’analyse et de temps pour l’appréhender. Le terme progressif prend rarement autant de sens qu’avec Obsidian Kingdom et dépasse même ses frontières, tant celles de la musicalité que celle des genres proposés dans leurs albums. Les changements de line up peuvent être une explication à tant différentes entre chaque release, où chaque musicien apporte son savoir et ses goûts. Toujours est-il que le noyau dur avec Rider à la barre a un avenir et un potentiel infini pour créer des choses qui n’existent encore forcément. Obsidian Kingdom, je vous le dis en ce jour, n’a pas fini de surprendre ses auditeurs.
Bonne écoute.
- Tiph