Co-Fondateur / Chroniqueur spécialisé dans le post-rock, shoegaze, sludge, synthwave et musique progressive en général.

N’importe quelle oeuvre d’art peut être difficile à cerner lorsque l’intention de l’artiste n’est pas explicite. Combien d’anti-héros fictifs sont vénérés par les uns et décriés par d’autres (Fight Club, American History X, Watchmen, pour ne citer qu’eux) ? Doit-on attribuer à un auteur de fiction les vices de ses personnages, quand un réalisateur de documentaire échappera – a priori – à l’amalgame ? Un éternel dilemme de l’auteur est de trouver le juste milieu entre la condescendance que serait sous-estimer son lecteur et l’obscurantisme involontaire de la communication au compte-goutte. Dans le cas de The Armed, la situation est doublement critique : les artistes eux-mêmes sont entourés d’un voile de mystère.

Malgré la prétendue levée du voile sur les membres du groupe lors de la promotion de cet ULTRAPOP, grâce aux crédits pour la première fois présents sur l’album et la vidéo live pour « ALL FUTURES », le mystère n’est pas encore percé. Pourquoi est-ce que Tony Wolski, dernièrement présent au chant sur Dream Weapon de Genghis Tron, que l’ont peut voir jouer de la batterie pour The Armed dans leurs plus anciennes vidéos, et surtout réalisateur de plus d’une dizaine de leurs clips, n’est pas crédité alors que l’élusif Adam Vallely l’est ? Qui est réellement Dan Greene, fil conducteur de la mythologie émergeant de la vidéographie du groupe au fil des années, et vu aux prises avec la réalité, s’interrogeant lui-même sur son existence dans le dernier clip pour « AN ITERATION » ? Lorsque vous regarderez cette fameuse vidéographie à l’issue de la lecture de cette chronique, vous épierez sûrement des REFRACT dans les commentaires YouTube. Existe-t-il un littéral culte de The Armed ?

Bien sûr, toutes ces questions seraient bien superficielles si ULTRAPOP ne méritait point une analyse aussi approfondie que ses concepteurs. Avec sa pochette colorée et son titre aguicheur, la présentation de l’album pourrait faire penser à la dernière playlist Spotify à sponsoriser Drake. Pourtant les quelques à avoir vu The Armed savent que leur musique pourrait difficilement être qualifiée de radio-friendly. La progression est logique, cependant, chaque album de The Armed les éloignant un peu plus de l’esthétique – visuelle et auditive – du hardcore telle qu’on la connait.

En démarrant sur le morceau éponyme, le groupe interpelle d’emblée : chant shoegazey, tempo lent et absence de batterie frénétique, le morceau hypnotique rappelle étrangement le précité Dream Weapon. « ALL FUTURES » vous fera peut-être penser à un certain Idles par l’énergie qu’il dégage, la presque moitié du morceau ayant son fond sonore tapissé de “yeah yeah yeah yeah yeah yeah”. La patte découverte au groupe sur leur précédent album Only Love est encore présente : un auditeur non préparé pourra croire que deux morceaux différents lui sont joués simultanément.

« MASUNAGA VAPORS » est le premier morceau à mettre en valeur les talents du batteur, le morceau soutenant un rythme infernal pendant toute la durée du morceau, qui ne fait que gagner en intensité quand on s’attendrait au contraire. Tout comme pour le refrain de l’entêtant « A LIFE SO WONDERFUL » cependant, la juxtaposition d’autant d’instruments, de voix et de bruits digitaux rend étonnamment bien, les éléments ne sont peut-être pas reconnaissables, mais au moins distinguables. Merci à Ben Chisolm, Kurt Ballou et … Dan Greene ? Les excellents « AN ITERATION » et « AVERAGE DEATH », choisis comme singles, sont les plus entraînants, et pourraient presque inviter à la chansonnette.

La signification du terme ULTRAPOP prend du sens : The Armed n’a aucun scrupule à emprunter au genre ses mélodies accrocheuses et refrains mémorables. Faut-il y voir une tentative d’aliéner son public, ou plutôt comme un désir d’élargir un genre trop souvent étouffé par ses codes ? Les paroles d’« AVERAGE DEATH » ne cachent pas leur opinion :

Expectations, secret rattlesnakes
It’s never really how it happens

Les joyeux « BIG SHELL » et « REAL FOLK BLUES » mettent en avant les prouesses vocales de Cara Drolshagen, chantant gaiement comme une possédée sur des morceaux se rapprochant un peu plus du punk que les autres. Le groupe n’en a pas fini de surprendre, et les deux derniers morceaux de l’album le prouvent. Sur « BAD SELECTION », ils jouent à mélanger ballade cohen-esque et synthé tout droit venu d’une rave party d’un futur dystopique, avant que le morceau n’explose après un faux refrain de fin. « THE MUSIC BECOMES A SKULL », quant à lui, est le pendant maléfique du « ULTRAPOP » du début, à la discordance poussée à son maximum sur un morceau au rythme rappelant la lourdeur de « Carrion Flowers » de Chelsea Wolfe. Mark Lanegan se joint aux choeurs et répète l’ironique (?) mantra :

What a brillant show

avant d’être coupé par un

Now get off
You have been dethroned

Au final, ULTRAPOP se ressent comme la vision entreprise depuis un moment dans la carrière du groupe, enfin réalisée. Les artistes se donnent carte blanche pour expérimenter plus loin encore le long de sentiers à peine défrichés. Si les comparaisons avec d’autres groupes peuvent être faite, la réalité est qu’aucun autre ne fait de la musique comme The Armed. D’aucuns diraient qu’ULTRAPOP pourrait avoir le même effet de bombe atomique dans le paysage familier de la musique heavy qu’un certain Sunbather.

  • Anthony

ULTRAPOP est disponible depuis le 16 avril chez Sargent House.

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