Post Rock, Post Metal Doom, Sludge, Trip Hop, Prog, Mathrock, Chaotic Hardcore. Des mots tout cela, des étiquettes. Laissez-vous guider par mes émotions. Orienter les vôtres et vous donner de quoi rêver. Planer ou encore vous déchaîner.

La vie se pense, se pense, elle pense qu’elle m’a doublé.

Il est actuellement 9h43. Heure précise à laquelle l’envie d’écrire le vide s’est éprise de mon moi. De mes sensations, mes humeurs et mes angoisses profondes. Les doigts glissent presque seuls sur le clavier, comme un état de transcendance dans lequel seul le vide règne. Moi, je suis vide. Vide de sens, vide de compassion, vide d’éclat. Voilà plusieurs mois que l’écriture n’est plus seulement un refuge, elle est un état de mon moi. Comme un miroir lacéré. Il est actuellement 9h46 désormais et mon sentiment est qu’Emptiness s’est plus qu’insidieusement enfoui dans mon esprit. Les Bruxellois ont créé avec Vide ce vide en mon fort intérieur, la bande originale de ma dépression, de ce mal qui me ronge depuis tant de moi(s).

Emptiness existe depuis 2002 et Vide est sa sixième réalisation. Mais l’eau coule sous les ponts précise le dicton. Et le groupe a lui aussi énormément évolué depuis sa création. D’un black teinté de death sur les premiers opus, l’univers s’est petit à petit transformé à partir de 2014 avec l’album Nothing But The Whole vers quelque chose d’autre, encore indéfinissable à l’époque. Suivi trois ans plus tard de l’énorme Not For Music, Emptiness explose en se mutant vers un post punk rappelant Joy Division avec une voix littéralement fantomatique, comme doublée, triplée de personnalités qui se recouvrent l’une, l’autre. Si l’album marquait un tournant dans la carrière du groupe, Vide en est l’aboutissement actuel et un coup de maître parfaitement maîtrisé.

Premièrement, le groupe se met en danger en optant pour le chant en français et en proposant un visuel très difficile à supporter. Comme si le manque d’empathie devait résumer ce vide énoncé dans le titre. Emptiness se décrypte seul et c’est une manière détournée de publier un self-titled à travers le titre français. Une manière de s’assumer en tant que tel. Mais à ce moment précis, dans les secondes qui vont suivre, je vais me perdre dans l’irrespirable mal qui peuple et hante ce Vide.

« Un corps à l’abandon » ouvre l’antre de la bête qui sommeille en l’Homme à travers ce respirateur, très en vogue ces derniers mois paraît-il. Cela semble très calme, très posé alors que l’atmosphère étouffée inonde les oreilles. Le chant susurré est presque incompréhensible. Il ne désire pas être compris de toute manière. La décision de devenir pire qu’un animal est prise depuis longtemps. « Vide, incomplet » apporte le rythme sur un texte où la dépression, le vide et l’angoisse s’entrechoquent pour créer un manège délirant. Le clip nous emmène dans une fête foraine, comme si l’appel du sang devait succomber à des pulsions. « La vie se pense, se pense, elle pense qu’elle m’a doublé. » Alors, il va falloir la prendre à revers. Et cela se produit sur « Le mal est chez lui ».

Alors que le titre oscille presque vers le darkjazz, on est plongé dans les entrailles du monstre, à nouveau clippé de manière très esthétique et presque sensuelle. Il y est pourtant question de meurtre et de pulsions extrêmes. Mais les moins sensibles comme moi y ressentent de l’exaltation. Sentirais-je une sorte de bien-être à m’imaginer dans cette bulle rouge ? Ce noir sans visage, cette forme sans être à l’intérieur, uniquement de la chaire, du muscle et de la déjection ? Cette déjection expulsée par le biais du sang de l’autre ? Je me suis égaré en chemin, Emptiness crée en moi cet émoi qui ne n’animait plus.

« Le sévère » est l’interlude qui nous rappelle la fête foraine en arrière-plan avec un appel déformé pour déboucher sur l’hypnotique « Ce beau visage qui brûle ». Cela peut vouloir tout et rien dire. On peut brûler d’émoi comme par l’immolation. « Ton visage n’est plus qu’une image, une face contre le pare-choc. » crois-je comprendre. Je me vois à travers les yeux du mal observateur et spectateur de la scène, sur un rythme lent, mélodique et lancinant. Le rythme cardiaque s’adoucit pour donner de la teneur à l’horreur qui se déroule en face de mon regard. « Détruis-moi à l’amour » est cette déclaration qu’il ou elle a refusé d’entendre. Cette déclaration qui va le ou la mener directement dans les catacombes de l’ombre, le piège qui m’avale. Et pourtant toujours sur ce même ton posé. L’ambiance est en totale contradiction des sons que les instruments émettent à mes ondes cérébrales. Comme un cannibale dévorant une salade de crudités avant les manifestations de son délire psychiatrique sur sa proie. Enfin, délire psychiatrique… Vous avez testé la viande humaine ? Vous saviez que le cannibalisme remonterait à 800 000 ans selon des études très sérieuses ? On ne ferait rien de mal en se dévorant l’un l’autre tant c’est ancré dans notre ADN si on suit cette logique. Pourquoi je justifie ça, moi ?

Bref, « Plus jamais » poursuit dans cette veine (ho, tiens pourquoi ne pas la trancher, tiens?) avec une mélancolie où « L’erreur » nous ramène à dEUS et ses racines électroniques sur un riff présent en arrière-plan. La balance est parfaitement équilibrée et le désespoir ne se comprend pas, mais se lit sur le bout des lèvres. Comme si on n’avait pas voulu faire de mal à la proie. Il s’agissait juste de déguster alors que l’appétit l’a emporté sur la raison. « On n’en finit pas » sonne pop. On assume le geste et son état. Et on est repu d’autant plus. Mais on en veut plus car il y a une forme d’érotisme qui s’échappe de ce morceau. Une sexualité morbide, un désir inavouable. En tendant l’oreille, on y perçoit l’indescriptible. Comme un amour carnivore, sale et pourtant si odorant. Le menton en sang, le cuivre sur les dents, « L’ailleurs » est déjà la fin. Ou le commencement. Bizarrement, alors que la composition demeure apaisée et apaisante, le chant semble plus énervé, plus agressif. Plus directe, plus malsain encore. L’ailleurs arrive… les dernières minutes me laissent seul avec mon état et ma dépression, mes envies inavouées et mes fantasmes déguisés en moi. Tout se rééquilibre et me laisse avec ce manque de sensations. Sensations exploitées à outrance sur toute la longueur de Vide.

Vide est une œuvre inclassable tant dans sa conception que par les émotions qu’elle véhicule. Elle transpire une rage et une colère incisive tout en faisant preuve d’un contrôle absolu. Elle n’est pas à placer entre toutes les mains, du moins des mains trop sensibles. Emptiness démontre deux faits très importants, tant en musique que dans sa généralité. Il n’y a rien de plus dangereux qu’un être calme et montrant un visage socialement acceptable. Et que l’on peut créer le malaise total sans pour autant faire preuve d’agressivité. Emptiness était un groupe de black/death, qui a grandi, mûri, vieilli, expérimenté et s’assume pleinement en 2021 avec ce vide qu’il est devenu.

Sur ce, je vous laisse, je vais nettoyer les taches sur les murs…

Bonne écoute.

  • Tiph

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