Les yeux…l’œil, le regard, la vision. À travers nos yeux, on peut tout ressentir, tout vivre et imaginer le son. Car on n’entend pas avec les yeux. Le groupe bruxellois propose ici tout l’inverse. Utiliser le son pour utiliser et attiser nos yeux. À capter chacun de leurs mouvements. À être attentif aux éléments, à la pertinence de chaque note. Au lâcher prise aussi. Tout est une question d’expérience sensorielle au final. Jusqu’à quel point sommes-nous prêts d’aller les yeux fermés par exemple ? Suivriez-vous quelqu’un les yeux ouverts sans savoir où l’on va ? Ou bien les yeux fermés en connaissant la destination finale ?
Là est tout le concept que je me suis imaginé de ce Drone To The Bone. Le laisser s’imprégner de nos os. Trois morceaux. Trois morceaux longs, improvisés comme dans un rêve hallucinatoire, où on ne sait plus trop ce qui existe ou pas. Et pourtant que ça existe ou non, le maître mot est évidence. Car cet opus est un tout du début à la fin. Et ce tout débouche sur une finalité : le sens qu’on va lui donner, le crédit qu’on va lui accorder. Sa forme.
Pour illustrer ma pensée, essayez de vous représenter une feuille d’arbre, n’importe laquelle. Vous la tenez par la tige et observez toutes les rainures, les filaments de la feuille qui convergent ça et là de chaque côté de la tige, la branche, le lien global. Toutes ces ramifications partent dans tous les sens mais jamais elles ne dépasseront les limites de la feuille. Non dans tous les cas, elles se rassembleront à la pointe de la feuille avec le bout de la tige. Pour finalement former ce tout cohérent : la feuille.
Des Yeux est comme cette feuille. Chaque membre entreprend ce qui lui chante de faire et se laisse guider par sa nature, son destin, ses envies, son aura et sa vision. Mais à un moment donné et ce sans même que ce soit calculé, du moins dans le ressenti, tout se rejoint, se condense, s’intensifie et s’efforce d’exister sous sa forme la plus primaire. Mais cette forme, elle existe, elle respire, on la sent, on la touche, on la vit, on la…voit.
57 minutes de son, dont ce « Backbone », gigantesque fresque, en est presque la moitié, vous laisseront sans mot. Ce second album, proposé par le groupe en téléchargement libre sur leur Bandcamp, est illustré aussi à travers ce visuel démentiel, angoissant. Terriblement détaillé. Il faut le regarder en écoutant l’album une première fois. Ensuite, vous laissez une journée passer. Puis vous vous remettez l’album, confortablement installé. Vous allez voir, cette pochette est imprimée sur votre rétine sans même que vous ne compreniez comment ni pourquoi.
D’ailleurs, vos yeux, vous pouvez les oublier. Car la musique que propose Des Yeux se laisse appréhender et se délecter uniquement les yeux fermés.
- Tiph