Post Rock, Post Metal Doom, Sludge, Trip Hop, Prog, Mathrock, Chaotic Hardcore. Des mots tout cela, des étiquettes. Laissez-vous guider par mes émotions. Orienter les vôtres et vous donner de quoi rêver. Planer ou encore vous déchaîner.

Se poser un instant et choisir ce que l’on veut faire, pas ce que l’on doit. Oser projeter sa part d’ombre à travers son art et dévoiler l’envers de son miroir. Briser son visage dans une flaque d’eau qui n’est pas censée refléter le moindre visage et pourtant, la magie opère par elle-même et pour elle-même. Par ses textes, enclencher ce moteur de l’Enfer, qui tourne à mille tours par minute en émettant du carbone de sang. Emma Ruth Rundle traverse une dimension avec cet opus plus qu’intime, presque corporel par la délicatesse extrême qu’il dégage.

Après la collaboration avec Thou où le doom et le sludge hantait sa voix, l’américaine prend le monde à contre-sens avec ce nouvel album conçu durant le confinement et le contexte que l’on sait. Huit morceaux épurés, au plus proche de la captation live avec ses imperfections et ses instants de vie. À commencer par le visuel et surtout ce regard, cet œil empreint d’une distance immense. Comme si la dépression était imagée. Regard direct vers « Return », la balade piano/voix (avec un peu d’arrangement très discret) et ce clip absolument stupéfiant. Emma parle avec son corps, ce grain de voix qui fredonne et donne la chair de poule. Un texte en forme de deuil, qui tente d’exorciser la mort et de partager un moment tellement personnel que l’on s’y sent de trop. « Personne pour stabiliser ton regard, Et toutes ces choses qu’une livre de chair ne peut acheter » dit-elle. Que puis-je ajouter de superflux ?

« Blooms of Oblivion » et les doigts qui glissent sur la guitare sèche me font penser à Damien Rice, l’irlandais à fleur de peau et cette capacité à émettre aussi du carbone de sang. La féminité dans les cordes vocales m’a arraché une larme en carbone. Allez voir d’ailleurs le clip tout en élégance, sensualité et douceur. Cependant dans cette douceur, il y a de la noirceur dans son atmosphère. Ces floraisons de l’Oubli cachent un mal. Un mal personnel. « Body » revient au piano/voix tout en mélancolie et douceur. Une voix masculine se glisse discrètement derrière. Comme un écho et amplifie l’émotion. Comme un fantôme se planquant dans ce corps après une rupture. Clamant un amour éternel. Lequel? Chacun son roman.

« The Company » de nouveau me rappelle l’univers de Damien Rice, encore plus au casque. L’instant de l’enregistrement de ce morceau semble lui aussi presque non retravaillé dans un studio, augmentant son intensité. Intensité presque au déchirement sur le titre suivant « Dancing Man ». Si la dépression atmosphérique guette votre esprit, elle sera nourrie à satiété. Les textes sont très intimes, parfois on comprend à peine ce qu’elle dit. Comme si la chanteuse se parlait à elle-seule ou à son reflet dans le miroir. Dès lors, une connexion se rétablit de nouveau avec le visuel en carbone de sang. « Razor’s Edge » fait presque office de titre le plus joyeux de l’opus. Il transparaît plus aérien, plus empreint d’espoir. Les doigts glissant sur la guitare me font toujours autant frissonner après autant d’écoutes.

Pour ne pas perdre son auditeur(trice), « Citadel » introduit en fond des violons toujours dans la discrétion. C’est en écrivant cette phrase que je comprends que la discrétion est le maître mot de cet opus, pas forcément la perte ou le deuil. Les compositions réclament de la concentration pour s’en imprégner. Engine of Hell n’est pas le genre d’album à mettre juste en ambiance de fond. Il plomberait le moral aux trop joyeux lurons. D’ailleurs, Emma va terminer son album avec le puissant et évocateur « In my afterlife », en y citant ce moteur de l’Enfer textuellement. Elle y parle de sentiments, des masques qu’elle porte ou encore de la sensation de ne pas être au bon endroit. Des paroles fortes, des notes graves et sonnant comme une fin de cycle. Comme un suicide en suspension sur la ligne du temps. Comme une libération tant attendue. Engine of Hell se termine en énigme où elle déclare être libre. Tant de suggestions peuvent s’y accorder.

Selon mon appréciation et des écoutes de ses dernières réalisations, Emma Ruth Rundle semble être au point culminant de sa carrière artistique. Carrière qu’elle mène comme elle la décide et ira dans le sens qu’elle le souhaite. Engine of Hell sonne comme une déclaration à son reflet de suivre sa trajectoire et de n’écouter que ses intuitions. Il y a une transmission poignante de mille émotions par minute, toutes aussi intraduisibles les unes que les autres. Chacun s’en fait son avis et se doit de respecter le choix de ce projet exclusivement acoustique et audacieux. Certains attendaient peut-être le post-rock d’E.R.R. Pour ma part j’attendais juste Emma. Il me sera impossible de le classer dans mon top 20 annuel, manquant d’objectivité de mon coté. Engine of Hell, d’ailleurs n’en a aucune non plus. Ce qui en fait une rare pureté de franchise qui s’écoute sans relâchement. Elle sera en concert le 12 février 2022 à Bruxelles (Botanique) et peut-être vais-je avoir la chance de l’interviewer. J’aurai trop de questions à lui poser. J’ai jusque cette date pour apprendre de sa discrétion et espérer des réponses.

Bonne écoute

  • Tiph

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