Co-Fondateur / Chroniqueur spécialisé dans le post-rock, shoegaze, sludge, synthwave et musique progressive en général.

On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Peut-on s’attendre d’un artiste, de retour après plus de dix ans de hiatus, à ce qu’il nous ressorte son dernier album ?

Le statut culte de Genghis Tron est sans doute dû en partie à son éphémérité, le jadis trio n’ayant sorti que deux albums sur presque autant d’années, mais surtout au succès critique de Board Up the House, sorti en 2008. Complètement frénétique, pouvant passer du mathcore le plus énervé à la plage d’ambient la plus aérienne, l’album est un tour de force de contrastes. D’autant plus que Genghis Tron jouissait d’un line-up peu habituel pour un groupe de metal, puisque les suspects habituels sont pour la plupart absents, le trio misant plutôt sur un mélange de guitare électrique, synthétiseurs, séquenceurs, et batterie électronique complémentés par un chant proche du grind. Le mélange de metal extrême et musique électronique n’est pas exactement un territoire inexploré, mais nul doute que peu d’artistes s’y étant aventuré puissent se vanter d’une réussite telle que Board Up the House.

Il va sans dire que la foule était en liesse à l’annonce l’année passée de la reformation du groupe et d’un nouvel album pour célébrer l’événement, Dream Weapon. Un enthousiasme qui a peut-être été tempéré lorsque mis en contact avec le premier single éponyme, et le changement de line-up qui l’accompagne. Nintendocore Genghis Tron n’est plus.

Le chant hargneux, la batterie électronique et les soubresauts caractéristiques de leur passé sont apparemment rangés au placard. L’explication est simple : Mookie Singerman, vocaliste, n’est plus de la partie. Mais Genghis Tron compte désormais sur deux autres joyeux lurons : Tony Wolski qui officie désormais au chant, et Nick Yacyshyn, que vous connaissez peut-être de Sumac, passe derrière les fûts. En complément de ces informations, le maintenant quatuor donne le contexte : Dream Weapon commence là où le dernier morceau de Board Up the House, « Relief », s’est arrêté. Ce morceau étant le plus long et – oserai-je dire ? – progressif de l’album, Genghis Tron n’aurait su donner meilleur indice quant à quoi s’attendre sur Dream Weapon.

Passé une brève introduction qui prend tout son sens lorsque l’album est écouté on repeat, l’album commence fort avec « Pyrocene ». Sur une base de riff de batterie à première écoute agressif s’ajoutent tour à tour les nouveaux ingrédients de la recette contemporaine du groupe : le chant filtré de Wolski, la guitare et les synthétiseurs délicieusement fuzzy… et l’ambiance se transforme vite, les qualités oniriques vendues par le titre de l’album se font déjà ressentir. Lorsque vient « Dream Weapon », lui aussi démarrant sur les chapeaux de roue, le tableau imaginaire se complète. Le sens du terme « Dream Weapon » n’a pas d’explication définitive ou officielle ; pourtant, aussi abstrait soit-il, l’auditeur aura tôt fait de se le représenter sous une forme mentale ou une autre. Aussi élusive que cette arme-rêve (arme de rêve ?), la musique de l’album adoptera une forme familière avant de se transformer. Comme dans tout rêve bien sûr, l’incongruité des transitions passe sous le nez du rêveur, qui se retrouve dans une toute autre scène avant même d’avoir pu se rendre compte du changement.

L’épique « Ritual Circle », avec sa ligne de synthé rappelant un didjeridoo, ajoutant à l’ambiance ésotérique du morceau, gagne peu à peu en complexité et intensité jusqu’à un climax en son milieu, se déstructure pour repartir sur une nouvelle base, entêtante, qui contre toute attente n’explosera jamais. Vous aurez compris qu’un effort conséquent a été fourni pour créer une atmosphère consistante tout du long de Dream Weapon, cependant la technique instrumentale, même si elle ne sera jamais au service du metal d’autrefois, n’est pas en reste.

Le confirment les deux derniers morceaux, « Single Black Point » et « Great Mother », sur lesquels le batteur fraîchement accueilli s’en donne à cœur joie, dont les fills sont une pure joie à écouter, alors que la guitare électrique adopte une tonalité plus incisive. À noter que l’espace sonore est savamment travaillé, les instruments remplissant la zone que d’autres ont abandonné, rendant les nombreuses transitions sur l’album d’autant plus exaltantes. Et si cette nouvelle mouture de Genghis Tron ne peut plus vraiment être qualifiée de metal, n’hésitez pas pour autant à augmenter le volume pour profiter pleinement du détail méticuleusement travaillé par le groupe, les passages en apparence les plus simples bénéficiant de discrètes fioritures.

Avec le recul, il n’est pas du tout étonnant qu’un tel accent soit mis sur les transitions instrumentales, de la part d’un groupe lui-même à peine sorti de son cocon. Abordé de la même manière, mais pourtant fondamentalement différent du reste de leur discographie, Dream Weapon est l’oeuvre d’un groupe qui n’a jamais cessé de se remettre en question et de repousser les limites de ce qu’il est capable de faire ; et montre que « meilleur » n’est pas forcément toujours synonyme de « plus fort ».

  • Anthony

Dream Weapon est disponible en CD, cassette et vinyle à partir du 26 mars 2021!

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *