Post Rock, Post Metal Doom, Sludge, Trip Hop, Prog, Mathrock, Chaotic Hardcore. Des mots tout cela, des étiquettes. Laissez-vous guider par mes émotions. Orienter les vôtres et vous donner de quoi rêver. Planer ou encore vous déchaîner.

L’émail est une matière obtenue par la fonte de divers minéraux et dont le but final est d’orner l’objet sur lequel on l’applique. L’émail la plus connue et la plus naturelle est également celle qui se crée sur nos dents pour les protéger des agressions. Dans les processus d’émaillage, en fonction des minéraux utilisés, on peut lui donner une teinte soit tirant vers les rouges soit vers les jaunes et ocres principalement, mais d’autres couleurs sont aussi possibles. Ainsi, en fonction de l’importance et de la stature que l’on veut apporter à l’objet recouvert d’émail, on utilisera des techniques différentes. Traduction littérale : « Les Chansons pour la Reine d’émail », Black Sheep Wall n’aurait pas pu revenir sans cette protection en émail. En plus d’orner un retour tant attendu, le groupe revient surtout en force avec un album mature, réfléchi, mais toujours aussi dérangeant, comme à l’accoutumée.

En 2015, je les découvre via l’ultra démentiel I’m going to kill myself (le premier opus avec Brandon Gillichbauer au chant) et cette sensation que les membres du groupe y jouent leur vie. Pour en témoigner, le pavé extrême doom sludge « Metallica » de trente-trois minutes où la seule motivation est d’atteindre la destruction totale et mentale. Chaque riff, chaque coup de batterie et chaque mot y étaient déglutition. Combien de fois je ne l’ai pas écouté dans mes moments internes de violence les plus profonds. Ils m’ont souvent presque sauvé de ma propre vie. Bref.

Bien que l’on ait l’impression qu’ils débarquent de nulle part, BSW existe pourtant depuis 2008. Quatrième sortie avec Songs For The Enemal Queen. Six années entre ce brûlot et le précédent laissent des traces. Mais des traces intéressantes. L’émail a séché et est devenu une forteresse dans laquelle le groupe ose tout ce qu’il souhaite en l’hommage de cette Reine si étrange, représentée sur l’artwork. Elle n’est ni humaine, ni un monstre. Peut-être, au mieux, une divinité.

« Human Shaped Hole » ouvre avec un Math Metal assez peu inhabituel pour BSW. La sauce prend vite cependant et la Reine semble interloquée par ces six humains enfermés dans cette forteresse avec elle. Elles les prient de passer à la suite sur « New Measures of Failure », premier pavé de treize minutes à la fois progressive sludge et délires psychotiques. Ces offrandes semblent déjà plaire et lui laissent un goût de sang jaunâtre sur la langue. Alors, BSW lui montre un peu ce qu’il a fait par le passé avec « Concrete God » et « Ballad of a Flawed Animal ». Ultra puissants, alambiqués dans les structures, mais plus directes comme sur les premiers opus du groupe. Le chant est toujours dégluti dès que s’en ressent le besoin. Nue sur son trône, notre reine observe tout cette débauche d’émotions. Il est bon d’être enfermée à jamais dans ces conditions, certainement. Qui a dit que tout le monde déteste le confinement ?

Vient ensuite le Black Sheep Wall version 2015/2021 avec des compositions plus longues, plus lourdes, plus poussées à l’extrême des retranchements. Le riff de « Ren » est très absorbant et soutenu. La grosse surprise se situe sur le centre de la composition avec un changement assez radical d’ambiance et surtout la présence d’une trompette. Cette dernière sublime tout bonnement le morceau en lui apportant une teinte jazzy et salsa sur un accompagnement basse/batterie malsain et ce riff de guitare bien choisi. Je me tourne vers la Reine (d’ailleurs, comment me suis-je retrouvé dans ce tableau?) et elle se tourne également vers moi. Ses yeux blancs expriment une forme de tristesse.

Elle est si seule depuis la nuit des temps. Elle a toujours été seule de par sa monstrueuse apparence, de par ses cheveux qui n’en sont pas. Je me prends presque à l’aimer. Pourtant, si elle m’aime, mon âme en sera damnée dans cette forteresse à jamais. Je comprends alors comment BSW a terminé dans cette antre. Mes pieds commencent à peser un million de milliard de tonnes. Le très étrange « Mr Gone » vient de débuter dans une ambiance ocre et pourpre, presque post rock. Quand la déflagration se produit, mes joues se déchirent. La Reine d’Email vient d’y planter ses longues griffes et le sang ruisselle. Brandon hurle de nouveau ce qu’il a au fond de ses intestins. Et en pensant ce mot, je sais que ce seront bientôt les miens qui seront déballés. Sous sa protection, la Reine d’émail est cannibale et habile. Elle absorbera tout de nous. En me tournant vers le groupe, je me rends compte que le pied de micro au chant sont les intestins du chanteur. Le rack de la batterie en est également et les branchements guitares et basses sont faits de cet organe, le plus long de notre corps. Comment ne l’avais-je pas remarqué ? L’hémoglobine n’est plus seulement un mot et du sang, il est un stade. Pourtant… Pourtant oui, je me sens bien.

D’ailleurs, je vais terminer mon existence sur « Prayer Sheet For Wound And Nail ». Les treize minutes finales de ma vie sans que je ne sois recouvert moi-même d’émail. Cette composition est pourtant empreinte d’un spleen des plus mélancoliques. À mon sens avec « Metallica », les deux morceaux de Black Sheep Wall les plus cathartiques. Mais là où « Metallica » représente la violence la plus exacerbée, ce titre incarne la tristesse, le désespoir dans ses expressions les plus sincères. Comme une sensation que rien n’est calculé mais tout est parfaitement maîtrisé. La tension monte et atteint le taux nécessaire en explosibilité pour laisser sa place à un final dont seul le groupe a le secret en version noise. Une sublime manière de conclure une magistrale composition. La Reine d’Email nous a tous absorbés et je ne suis plus qu’une matière première.

Quant à moi, et ce sera là la conclusion de ce texte, je ne sais quel adjectif trouver pour qualifier cet album. Les mots « magistral » et « extraordinaire » ne sont pas assez puissants pour décrire ce que j’’ai ressenti. Avant de passer à l’acte d’écriture, j’ai bien dû l’écouter au moins dix fois en quelques jours. D’ailleurs, cela m’a motivé à réécouter leur discographie. Il en est clairement le plus abouti. Le groupe s’est écouté, a retenu tout leur potentiel du passé en proposant un chef d’œuvre intense et très personnel. C’est la sincérité qui a été le leitmotiv dans le processus de création de Songs For The Enemal Queen. S’il faut de nouveau attendre six ans pour avoir un album différent et encore supérieur à celui-ci, je signe les yeux de sang fermés en l’avenir de Black Sheep Wall.

Bonne écoute.

  • Tiph

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