Post Rock, Post Metal Doom, Sludge, Trip Hop, Prog, Mathrock, Chaotic Hardcore. Des mots tout cela, des étiquettes. Laissez-vous guider par mes émotions. Orienter les vôtres et vous donner de quoi rêver. Planer ou encore vous déchaîner.

La musique est avant tout une expérimentation de l’Homme. Depuis la nuit des temps, l’Homme a toujours chanté, créé des mélodies avec tout ce qu’il avait sous la main, écrit et codifié la musique et inventé des instruments, tant conventionnels qu’abstraits, révolutionnaires ou même loufoques. À l’heure où j’écris, peut-être que des groupes se forment, d’autres se séparent, certains se révèlent un talent ou d’autres encore sont en train d’écrire la musique du futur. Et puis, il y a une autre catégorie qui déconstruit le corps de ce qui existe pour repousser les frontières, les limites musicales, le son dans sa globalité et lui donne un aspect qui en rebutera peut-être plus d’un, en attisant une forme d’anarchie musicale extrêmement jouissive pour d’autres. The Body fait partie de celle-ci.

The Body s’emploie depuis plus de vingt ans désormais à rendre l’inaudible écoutable. À plonger au plus profond de chaque note, la triturer, la déformer jusqu’à lui découvrir une nouvelle dimension, voire même plus encore. Le duo américain est une véritable écorchure, une plaie béante pleine de pus dans l’industrie de la musique tant la créativité et l’inventivité est totalement explosée, décomposée sur chaque cellule pour y découvrir la moindre particule inexplorée. I’ve Seen All I Need To See est leur septième LP et ils parviennent malgré tout encore à me surprendre, sans forcément changer le concept. Après un superbe I Have Fought Against It, But I Can’t Any Longer en 2018 (en comptant d’ailleurs la participation de Lingua Ignota, révélée sur la scène internationale depuis), The Body revient cette année avec une œuvre beaucoup plus raw, plus noire encore et disséquant encore plus le son de la manière la plus oppressante possible.

Selon mon ressenti, la présence de Lingua Ignota sur l’opus précédent a involontairement apporté une certaine lumière symphonique (je ne sais pas si vous me comprenez mais autant vous le dire, cela m’est égal), bien que le visuel et le titre soit en contraste total. Ici, le groupe redescend encore quatre crans plus bas dans sa détresse et pioche dans ses propres veines, le sang qui coagule dans chaque composition, un peu comme sur les premiers albums. « A lament » est littéralement haché, entrecoupé, à tel point que j’ai pensé que la piste avait un souci, comme les vieux CD’s pouvaient parfois sauter. Mais non, l’effet est parfaitement voulu et place cette main sur votre gorge comme pour vous empêcher de respirer. Un final doom sur un clavier en totale opposition s’y marient même. « Tied Up and Locked in » exprime parfaitement cette sensation d’enfermement à l’intérieur de son propre corps, rythme martial presque déréglé, volontairement grassement produit et déglutition de gorge vont de pair alors que « Eschatological Imperative » dresse un portrait de la fin des temps à travers l’organisme. Il y a une telle pression dans ce morceau que l’on en vénérait l’éventration. Les ambiances en arrière-plan jusque ici prennent aux tripes en créant ce nœud d‘anxiété à l’extrême. The Body recherche l’anéantissement le plus complexe et le plus complet. On n’en est plus très loin…

« A pain of Knowing » déconstruit tout ce qu’il est possible avant de balancer dans la pure tradition du groupe : cette voix aussi sale que malsaine, comme si une âme mourrait et cherchait à lutter contre cette inéluctable mort. Une bande originale de snuff movie paraît presque anecdotique à côté de cette expérience sonore. En parlant d’expérience justement, « The City Is Shelled » semble cette lame derrière l’œil qui risque de transpercer de nouveau l’épiderme une seconde fois. Il faut au moins trois ou quatre écoutes pour comprendre ce qu’il se passe réellement dans ce morceau. On pourrait aussi faire cette remarque positive non seulement sur l’album mais aussi sur la carrière des Américains. Un clavier désarticulé brouille les pistes sur l’organe vital de cette mixture sonore. Il s’en dégage une forme d’hypnotisme. « They Are Coming » annonce la venue de l’explosion. Tous les boutons sont tournés au maximum comme pour distordre la réalité et donner vie à une huitième ou neuvième dimension. Dans le monde de The Body, toutes ces dimensions coexistent et s’aspirent l’une l’autre. À mon sens, le moment de l’album le plus intense et le plus désorientant. À vrai dire, je me le passe en double tant cela dépeint mes angoisses. Ajoutez à cela les cris et autres strangulations incisives, vous obtenez une chimère qui n’existe pas.

Il ne reste que neuf minutes de transitions dimensionnelles. « The Handle/The Blade » ajoute à l’ensemble un brasier ardent et faire bouillir le sang des plus anxieux. Il se dit quelque chose en sous-couche avec un vocodeur sur la voix mais cela est imperceptible, renforçant au passage le sentiment de claustrophobie et la teinte générale de l’opus. « Path Of Failure » clôture ce recueil d’outre-dimension en expérimentant dans l’expérience en elle-même avec un jeu de batterie lorgnant fort sur le jazz à travers le marasme. Comme si le groupe voulait montrer qu’il en a encore dans son sac avant un final d’une lenteur doom extrême en surface, complètement désaxée en sous-couche(s). Avant de mourir et laisser le néant autour de soi. Sauf un bruit aigu dans le cervelet de notre propre subconscient.

Source: https://thequietus.com/articles/29477-the-body-i-ve-seen-all-i-need-to-see-review

Comme toujours, The Body donne à la laideur une splendeur incommensurable et parvient encore à creuser plus loin dans les profondeurs des abysses. Chaque album est une veine tranchée, comme je le mentionnais plus haut, où chaque entaille est plus proche de l’autre à chaque sortie. Le mal s’insurge un peu plus loin encore avec ce I’ve Seen All I Need To See, la plaie est profonde et ne se cautérise plus. Et pourtant, il est certain que le duo expérimental aura au moins encore autant de choses à nous raconter dans l’avenir qu’il n’a d’épiderme sur son corps.

Bonne écoute.

  • Tiph

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *