Post Rock, Post Metal Doom, Sludge, Trip Hop, Prog, Mathrock, Chaotic Hardcore. Des mots tout cela, des étiquettes. Laissez-vous guider par mes émotions. Orienter les vôtres et vous donner de quoi rêver. Planer ou encore vous déchaîner.

Dans les croyances musulmanes, les djinns sont des créatures surnaturelles d’un monde invisible peuplant la Terre et sont capables de métamorphisme, c’est-à-dire la capacité de prendre diverses apparences, qu’elles soient humaines, végétales ou animales. La représentation la plus fréquente est celle du serpent. Le djinn est une créature créée à base d’un feu sans fumée, ce qui le distingue de l’Homme créé à partir d’argile. Le djinn est doté du libre arbitre mais il devra répondre de ses faits et gestes au moment du Jugement tout comme l’Homme.

Certes, j’ai tiré ma définition de ce que j’ai lu sur Wikipédia (et donc, toujours à prendre avec des pincettes), mais c’était un peu l’idée que je me faisais d’un djinn. Il est en quelque sorte le tentateur, appliquant un carpe diem et montrant des voies hors champs. Ce hors champs d’ailleurs, c’est le monde invisible que je référence plus haut. Le duo bruxellois DJINNS nous propose trois portes en ce début d’année pour pénétrer ce monde qui se vit à côté du nôtre. Mais ces trois portes ne sont pas côte à côte, elles se succèdent, l’une ouvrant sur l’autre, et même interchangeables. Chaque porte est représentée par une divinité, trois déesses parmi les plus importantes de la religion préislamique : Uzza (la déesse de la fertilité), Allat (la fécondité) et Manat (le destin).

Chacune de ces portes va m’ouvrir un aspect de cette théologie atmosphérique très ambiante et me plonger dans des tréfonds que je ne connaissais pas forcément en moi. Là où un VaathV, pour ne pas le citer m’élève, DJINNS lui décide que l’escalier va descendre vers un néant inexploré. Uzza, la fertile, plante un décor sans toutefois me plonger dans un outrenoir total, il me reste cette torche à la descente de l’escalier en pierre d’argile. Mais tiens, l’argile n’est pas la matière première de l’Homme ? Marcherais-je sur des corps morts depuis des millénaires ? Uzza décrit cette sensation à la fois de montée et descente vers quelque chose. Le fait de s’élever et l’intensité vont monter petit à petit sur les six parties qui composent ce premier EP. Quand les parties batteries se mêlent à l’ambiance, on pense que l’on va rencontrer une âme. La sienne ? Peut-être. Mais pas encore tout de suite, non. Les dernières parties font penser aux brillants bruxellois Des Yeux. Y-aurait-il sur Bruxelles cette première porte ? Bref, je n’en saurai pas plus pour l’instant. Mais se présente à moi la seconde porte : celle de Manat, le destin.

À mon approche, la porte s’ouvre. Comme si une entité attendait ma venue. La flamme de ma torche oscille et plie sous un poids. Le mien peut-être ? Celui de mes actes ? L’ambiance s’alourdit considérablement et la profondeur descend de nouveau d’un cran. Les trois parties de Manat m’amènent vers un choix très important : celui de choisir la remontée tant qu’il en est encore temps ou de m’enfoncer encore plus. Le poids du destin est une chimère à porter sur ses épaules. La théologie musicale de DJINNS s’intensifie d’avantage et offre un spectre de ce monde invisible. Les sous-couches musicales sont comme ce calcaire que je sens sur les murs de celui-ci. Il suffit de l’effriter entre mes doigts pour voir que ces murs sont des cendres de souvenirs. Les dix dernières minutes de Manat sont très ésotériques, avec des notes qui s’apparentent fortement à un chant. Doux et lourd (de sens) à la fois. Comme si des âmes voulaient m’entraîner vers leurs mains… Entre leurs mains. Je me laisse guider par ces âmes éteintes doucement vers la troisième et dernière porte. Celle qui recèle un secret. J’ai tracé mon destin en pénétrant dans Allat, la fécondité.

Peut-être ai-je été présomptueux. Peut-être ai-je commis le désir de chair de croire que cette porte donne vers un monde grandiloquent. L’ambiance chamanique prend de l’envergure dans les premières minutes de cette troisième partie. Ma torche a cessé de vivre mais dans Allat, le néant n’est plus complet, non. Mais il n’est pas clair non plus. Il est teinté de rouge sang dans son atmosphère, suffocante et délétère. La fécondité me laissait le sentiment d’un monde plus accueillant mais j’ai oublié ce détail : le djinn est un serpent dans sa représentation. Le serpent est le malin. Le malin est présent dans cet antre. Cet antre, c’est le monde invisible et pourtant il sévit parmi nous. On l’appelle Les Enfers. Les Enfers justement, n’ont peut-être jamais été aussi proches. Une première partie d’une dizaine de minutes pour débouler sur le dantesque final de près de trente minutes. Trente minutes durant lesquelles je marche à tâtons, aveuglé par cette lueur sang et souffre. Il y a comme un esprit The Black Heart Rebellion qui rôde dans ce final, une ambiance à la fois cinématographique et darkjazz. La suffocation prend à la gorge et il ne reste alors plus qu’à remonter. Une ombre dans un coin de cet antre tente de m’attirer. Le djinn ? Le malin ? Ou bien moi-même peut-être pour définitivement m’engloutir. Non, je dois refaire surface. Mais refaire surface quand on se trouve dans un monde invisible est-il seulement possible ? DJINNS semble lui de son côté, avoir trouvé sa voie. Celle d’un fils spirituel de Om pendant que moi je délire et je sombre pour remonter à la surface. Saviez que « Om » est le premier mot écrit de main d’Homme? Mais trêve de bavardage car subitement, je trouve le moyen. En laissant mon esprit à mon âme, en paix intérieure avec mon moi, je me sens enfin libéré de ce poids qui me tenait sur le sol. Mon corps remonte vers chacune des portes, comme une vidéo en marche arrière. Je revis chaque moment, chaque seconde de ces 113 minutes que je viens de vivre dans mes tréfonds. Même au plus profond, c’est la volonté qui permet de remonter le courant et de lui donner sens inverse.

Trois Ep’s, trois mini albums connectés les uns aux autres qui permettent à DJINNS de se procurer une forme de liberté artistique très aléatoire et pourtant maîtrisée de bouts en bouts. De plus, la production bien que DYI, est impeccable dans ses imperfections et confère à l’ensemble une véritable aura. Les trois déesses possèdent chacune leur spécificité et c’est également le cas de ces trois EP’s. Ils sont séparables, connectables voire même potentiellement écoutables dans divers ordres. Mais indissociables. J’ai choisi l’ordre Uzza ManatAllat en suivant bandcamp et je pense dans un avenir assez proche essayer une autre combinaison. Ce qui est beau, c’est qu’alors, une nouvelle approche va en naître. Un peu comme, quand on y réfléchit, la lecture d’un texte théologique. Chacun en fait sa compréhension en fonction de son niveau de compréhension, de sa conception, de sa morale et de ses valeurs. Vous retrouverez chez DJINNS cette puissance évocatrice qui nous est tant chère chez NMH.

  • Tiph

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