Post Rock, Post Metal Doom, Sludge, Trip Hop, Prog, Mathrock, Chaotic Hardcore. Des mots tout cela, des étiquettes. Laissez-vous guider par mes émotions. Orienter les vôtres et vous donner de quoi rêver. Planer ou encore vous déchaîner.

Être capable de faire plonger l’auditeur dans l’onirisme, le vide presque spatial et en même temps lui donner le sentiment de se trouver dans les confins les plus éloignés des océans n’est pas chose aisée. Pourtant, après plusieurs écoutes approfondies (car il s’agit d’un trip qui demande beaucoup de lâcher-prise), les Australiens de Selfless Orchestra m’ont emmené avec eux dans un voyage intérieur qu’il me faut vous partager.

 

Rien qu’à l’observation de cet artwork à la fois sobre et interprétable à souhait, on sait que l’écoute sera hypnotique, visuelle et amènera à la réflexion. La réflexion sur un monde qui se meurt. La réflexion d’humains, là-bas au bout de la Terre, la seule que nous connaissions et accepte de nous abriter. Et pourtant que nous malmenons de toute part, au point qu’il n’est plus si inenvisageable que nous humains, soyons devenus son cancer incurable. Selfless Orchestra, bien que le projet soit instrumental, délivre un message hautement philosophique et écologique. Tant par le visuel que les images diffusées lorsque le groupe joue en live, ces images nous rappellent la beauté de notre Terre (Terre que je veux distinguer du mot monde car il existe plusieurs mondes mais une seule Terre).

Alors cette immense barrière en question, que nous raconte-t-elle ? Elle est très profonde et on en comprend sa profondeur alors même que « Boundless Measureless » démarre en douceur. Notre sous-marin spatial (si, si) est en pleine descente vers là où l’Homme n’a pas mémoire d’œil. Pour arriver sur “Time Is a Flower I et II” où nous traversons une barrière de corail de mille couleurs. Elle s’étend à perte de vue, le noir est profond, presqu’outrenoir, mais les coraux sont comme une piste d’atterrissage au milieu du néant. Un émoi de We Stood Like Kings s’empare de moi, au pilotage de cet engin, construit par l’humain, pour observer ce que la Terre recèle de cacher. Ce qui lui est le plus cher.  Dans le brouillard des guitares, des échos s’élèvent. Si je n’étais pas à ce point scientifique, j’en jugerais que les sirènes existent. Douze minutes de sous-apesanteur où je laisse dériver mon sous-marin spatial. J’en perds doucement mes notions, suis-je au fond de l’eau ou dans les confins de l’infini ? On pourrait franchement confondre. Mais ce qui m’importe, ce sont ces mille couleurs que Selfless Orchestra apporte à la nuit, qu’elles soient vingt mille lieues sous les mers ou vingt mille années lumières de la Voie Lactée.

Après un bref interlude avec une voix très documentarisée, me revoici de nouveau plongé un cran plus bas avec « False Bodies I et II ». Après la beauté, me voici ramené à la réalité. Pas celle dans laquelle je vous écris, non. Celle où je croise des pétroliers morts, des cargaisons échouées dans les trépas de la Terre, celle qui me rappelle que je, en tant qu’être humain, peux être un lymphome. Milliards de millions de déchets, des étendues noires, indicibles et recouvertes de mousses vert sombre. J’y croise des baleines décédées par centaines, des requins piégés éternellement de leur propre chasse. Des filets de pêche à l’excès, des tonneaux rouillés, non ouverts pour certains, pour d’autres vides, que pouvaient-ils contenir ? Nul ne le saura peut-être jamais.

Soudain, mon devoir d’être humain me revient pleine face. Observer toute cette nature morte aux tréfonds, aux pieds de notre refuge fait naître les larmes à mes yeux. Qu’avons-nous fait ? Que faisons-nous ? Que ferons-nous demain ? Allons-nous transmettre ces immondices à nos enfants? C’est déjà en partie le cas. La seconde partie de « False Bodies », grave et tourmentée me ramène à ma condition humaine exécrable.

Soudain, une vie sur « Inharmonicity ». C’est bref. Je tourne à gauche, le son venait de là-bas. Les premières notes de « Bleached » sont un opéra au piano que mon cœur interprète comme un espoir. C’est comme si Nick Cave avait plongé pour faire entendre sa mélancolie. Une contrebasse fait monter l’intensité. Et le noir vert de ces déchets soudain laisse place à une…blancheur un peu grisonnante. Comme un effet stroboscopique au ralenti. C’est comme si la Terre voulait me montrer les origines de notre monde, avant tout être vivant, avant que tout ne se dégrade. Une sorte d’avertissement, qu’il n’est peut-être pas si tard que ça. J’ai froid, je gèle même dans mon sous-marin spatial, je me trouve premier être enveloppé d’épiderme où mémoire de baleine est engloutie, décédée par la folie de l’Humanité. L’ambiance de ce morceau me donne un frisson presqu’intolérable.

Un nouvel interlude prend le pas de me guider vers « Beyond All Illusion I et II ». Je suis face à une sorte de trou noir version sous-marin. Serait-ce cette immense barrière ? Au point où j’en suis, je vais la franchir. Quitte à ne jamais revenir. À peine la coque de mon vaisseau touche la surface que me voici absorbé à travers un tunnel où la lumière bleutée et verte se succède en palindrome, je ne contrôle plus rien, l’apesanteur marine m’écrase comme sous 3G. Puis se stoppe net. Je suis toujours dans le même océan. Si ce n’est que la barrière de corail est comme morte. La désolation des mille couleurs transformées en monochrome. Il n’y a pas non seulement des centaines de baleines mortes mais des humains, tous bien conservés. Je peux apercevoir leur émotion au moment du trépas, en naviguant, dérivant au travers de ces chalutiers coulés, de ces bâtiments engloutis. J’en déduis que ce trou de vers m’a transporté dans le futur. Peut-être plus si lointain que nous ne le penserions. En quelle année suis-je ? 2060 peut-être ? La peur m’envahit. Ma fille aura 45 ans dans ces eaux-là… triste et sordide dessein que je dresse avec l’utilisation du terme « ces eaux-là ».

Le sang et les larmes se sont mêlées pour obtenir cette eau de mer morte. Mais alors que je désespère, le sonar capte quelque chose…des baleines ? C’est impossible, tout est mort. Ou semble mort. Je dirige le vaisseau vers les sons et j’observe alors un ballet. « Whalesong » se joue devant mes yeux. Des dauphins, des bancs de poissons reproduisent à merveille les sons de leurs ancêtres cétacés, partis dans l’outre-mort il y a de cela des décennies. Et moi, au milieu de tout ça, je me perds, je me laisse absorbé.

« Eden is Lost » pour la remontée. Après tous ces ressentis, ces visions, ces émotions, je dois retrouver mon monde pour encore essayer de donner espoir à cette Terre. Le trou de vers me ramène chez moi, dans mon époque où la pollution et la destruction deviennent plus synonymes de la normalité que protection et transmission. Les violons, les guitares, la basse, tout s’accorde pour lancer un message d’espoir. Un message pour engendrer la réaction, la prise de conscience, pour voir et accepter la réalité de la chose : ce n’est notre monde qui meurt, c’est la Terre. Si la Terre s’éteint, notre monde ne survivra pas. Et c’est le message profond que j’en retire de cette immense barrière. Pour sauver la Terre, cela passera par changer notre monde. Les bruits sous-marins concluant l’opus en sont le début du chant, de la déclaration à l’Humanité.

En une heure, les dix musiciens qui composent Selfless Orchestra m’ont tout simplement scotché, fait vibrer aux rythmes d’un monde en péril, d’un Terre blessée mais qui veut tout de même se montrer sous son meilleur jour quand elle le peut. Il suffit de regarder les vidéos que je vous propose pour réaliser à quel point le message écologique que véhicule le groupe est bien au-delà de considérations financières, économiques ou de pouvoir. The Great Barrier est un hymne à l’océan, la nature, sa faune et sa flore mais par conséquent une complainte aux yeux des Hommes (celui avec un grand H regroupant hommes, femmes, enfants, de toute couleur de peau, de toute confession ou de déséquilibrage physique). Nous sommes tous dans ce sous-marin spatial que j’ai imaginé. Il serait temps que le plus grand nombre d’entre nous prenne conscience qu’il n’est pas insubmersible et ne nous protégera plus très longtemps d’une extinction de masse que nous provoquons tous. The Great Barrier de Selfless Orchestra fait désormais partie des œuvres majeures de ma vie que j’ai eu la chance d’entendre et de transmettre via mes mots et le webzine. Merci de m’avoir lu jusqu’ici et surtout, réfléchissez à tout ceci en réécoutant l’album.

Bonne écoute.

  • Tiph

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