Nous avons eu, lors de l’édition 2017 du dunk!festival, l’immense honneur d’interviewer Jamie Dean et Torsten Kinsella de God is an Astronaut. Cette interview s’est déroulée de manière assez impromptue : nous avons été invités à rencontrer le groupe alors que nous parlions avec les proches du groupe à leur stand merch. Imaginez-vous le bonheur se dessiner sur nos visages lorsqu’ils nous ont emmenés en dehors du festival pour rencontrer Torsten Kinsella et Jamie Dean… Nous espérons que vous apprécierez cette interview autant que nous avons eu de plaisir à l’enregistrer.
NMH – Vous avez été le groupe avec lequel nous avons découvert le post-rock et ses genres connexes donc d’ores et déjà merci pour cette interview incroyable. Une question nous vient à l’esprit directement avec cet album (NDLR : « All is Violent, All is Bright », que nous avions en vinyle avec nous à l’interview) : quelle est votre influence principale quand vous écrivez de la musique et particulièrement, comment cette influence évolue-t-elle entre chaque album ?
Torsten Kinsella – Et bien je vais vous parler de ce disque et Jamie pourra vous parler des albums plus récents. Avec « All is Violent, All is Bright », c’était un moment dans ma vie où je m’enfermais dans ma propre prison. Pendant ma vingtaine et ma trentaine, je restais cloîtré dans ma maison, j’avais ce genre de phobie. « Fragile » était vraiment un appel à l’aide… Donc cet album est entièrement à propos de mon état d’âme. « Forever Lost » par exemple est à propos de proches qui venaient de décéder. C’était ce genre de choses…
Helios | Erebus, dont Jamie peut vous parler maintenant, est aussi un album sombre, mais il représente plutôt le monde dans lequel nous vivons actuellement…
Jamie Dean – Oui, nous avons été évidemment inspirés par des événements personnels pour ce disque, mais aussi par le monde qui nous entoure. Quelques années avant la sortie de l’album, nous travaillions à un show live plus énergique, plus lourd, sans prendre trop de distances par rapport au côté « ambient » du rendu studio, mais plutôt en essayant de mélanger ces deux composantes. C’était donc également l’objectif sur Helios | Erebus, lui donner des sonorités « ambient » avec ce côté plus « heavy ».
T.K. – Après le contrecoup d’Origins (NDLR : album précédant Helios | Erebus) qui nous a plongés dans de sombres états d’esprit, nous voulions quitter cette ambiance et nous pensons avoir réussi avec Helios | Erebus. En revanche, le nouvel album sur lequel nous travaillons actuellement est de nouveau à propos d’une perte personnelle : mon cousin – et je ne veux pas rentrer dans les détails – a été tué. Jamie a également eu des histoires similaires. Donc ce nouvel album est vraiment, vraiment sombre.
J.D. – Oui il reste quelques morceaux, mais on peut dire qu’à cet instant, 70% de l’album est fait (NDLR : au moment de l’interview, au Dunk!Festival 2017)
T.K. – Ce n’est jamais inspiré pas un seul style, par ce que nous entendons à la radio ou par ce que nous entendons, voyons tous les jours. Nous ne rebondissons pas sur quelque chose en particulier en nous disant « Changeons notre style pour correspondre à telle ou telle chose… ». Nous essayons de faire ce que nous savons faire de mieux en tentant d’inclure nos émotions, nos sentiments personnels et notre identité. Pour moi, c’est vraiment la chose la plus importante.
NMH – Qu’est-ce que ça fait de jouer à nouveau au Dunk!Festival ? C’est déjà votre 5e édition !
J.D. – Personnellement, c’est ma 3e fois, mais le groupe est en effet venu 5 fois. Pour répondre à votre question, je pense que c’est génial pour le genre, je ne pense pas qu’il y a beaucoup de festivals de ce style, il y a évidemment ArcTanGent, où nous jouons aussi cette année, mais à part ceux-là…
C’est évidemment un honneur d’être à nouveau invité au dunk, surtout que nous avons le privilège d’être la tête d’affiche quasiment à chaque fois et quand on sait qu’il y a si peu de festivals dans le genre, c’est certainement un honneur, oui.
NMH – Avez-vous eu l’occasion de voir quelques concerts pendant cette édition du Dunk ?
T.K. – J’en ai vu quelques-uns, oui, mais mon ouïe s’en prend très rapidement à moi et donc je ne reste pas très longtemps… Vous savez quand on compose en studio, nos oreilles n’ont pas souvent de pauses.
Mais oui, j’ai par exemple vu Xenon Field, qui a vraiment été super…
NMH – Ils font votre première partie pendant cette tournée, je crois.
T.K. – Exactement ! Ils font partie des meilleurs groupes que j’ai vus aujourd’hui.
J.D. – Nous avons aussi vu The Chasing Monster, qui a joué en premier sur la Main Stage aujourd’hui. Mais en ce moment, nous nous concentrons principalement sur notre live show, qui fait environ 90 minutes et nous essayons de ne pas trop nous en détourner.
T.K. – Le fait d’écouter et de regarder d’autres choses peut dérouter par moment et nous voulons éviter ça. Nous voulons rester dans notre monde aussi longtemps que possible. Donc ne pas trop voir de concerts d’autres groupes est… mieux pour nous.
Mais le tout semble être d’un bon niveau, comme d’habitude au dunk !
Nous faisons donc ce qu’il y a de mieux pour nous, et nous essayons aussi de rendre ce genre de musique le plus populaire possible.
NMH – Vous êtes d’ailleurs un des groupes phares de la scène post-rock, comment vivez-vous ce succès ?
J.D. – Comme je l’ai dit tout à l’heure, c’est vraiment un honneur de jouer en tant que tête d’affiche de ces festivals, mais nous ne considérons pas, d’aucune manière, que nous sommes en haut de la liste ! Nous avons encore beaucoup de choses que nous voulons accomplir, pour nous ou pour le genre lui-même. Nous voulons éventuellement inspirer d’autres groupes et faire grandir le genre…
Je réalise que quand je parle comme ça, je parle de nous, en effet *rire*, mais ce que je veux dire c’est que nous voulons ajouter des éléments à ce genre de musique et le faire évoluer encore.
T.K. – C’est amusant parce que les gens trouvent ça parfois surnaturel de nous voir tellement ils nous considèrent comme « ce grand groupe de post-rock » alors que nous ne nous voyons vraiment pas comme ça. Nous sommes toujours en compétition avec nous-mêmes et voulons donner le meilleur, en améliorant notre performance par rapport à notre dernier concert et en mettant la barre encore plus haut par rapport aux autres groupes. Je suis confiant que nous pouvons le faire, mais cela va demander beaucoup d’efforts.
Nous pensons d’ailleurs que certains groupes pourraient travailler un peu plus sur leurs sonorités, je ne veux pas dire qu’ils sont mauvais, pas du tout, mais parfois j’écoute certaines formations et j’ai l’impression d’avoir déjà entendu leurs morceaux avant… Parfois on écoute un ou deux morceaux puis on a compris, il n’y a plus de surprise… J’aimerais voir un peu plus de développement et d’évolution dans le genre.
Par exemple, nous essayons, dans nos concerts, de ne pas tout donner au premier morceau parce qu’au final, que va-t-il rester ? Je pense que l’authenticité et l’originalité sont parfois plus importants que d’être LE groupe du moment.
NMH – En parlant d’originalité, nous trouvons qu’« A Moment of Stillness » est vraiment unique, à sa façon… J’ai l’impression qu’il est un peu sur le côté, par rapport à votre discographie, qu’il est différent, mais très bon !
J.D. – Je pense qu’il est essentiellement un antidote à All is Violent.
T.K. – Il y a des choses là-dedans que nous avons un peu revisitées pour le dernier album.
Nous aimons explorer les textures plus ambiantes avec le groupe, Jamie est d’ailleurs un grand fan d’ambient. Donc beaucoup de ce que nous écrivons dernièrement est très influencé par ce côté-là. Mais il y a deux visages dans notre groupe : le visage live, en concert et le visage plus « ambient » et avec Helios | Erebus, nous avons essayé de mixer ces deux aspects pour donner le sentiment qu’il s’agit d’un tout.
Avec A Moment of Stillness, ce n’était pas du tout ça, c’est plutôt un disque ambient, nous ne l’avons jamais envisagé en live, c’est la raison pour laquelle nous ne jouons pas beaucoup de morceaux lors de nos concerts. « Frozen Twilight » par exemple, qui est un de mes morceaux préférés, ne fonctionne pas si bien en live, c’est la raison pour laquelle il ne se trouve pas dans nos setlists.
Ce qui fonctionne en live et ce qui fonctionne en studio peuvent être des choses totalement différentes. A Moment of Stillness est peut-être plus un album qui s’écoute plutôt qu’un album live.
NMH – En parlant d’ambient, quels sont vos groupes préférés dans ce style ?
J.D. – Nous en parlions justement entre nous aujourd’hui, en ce moment j’écoute Wardruna qui est un projet norvégien… tribal ?? Je trouve que ce qu’il fait est assez différent et sombre. C’est très captivant, j’aime l’écouter le soir *rire*. J’écoute aussi beaucoup Nils Frahm, Ólafur Arnalds, j’aime beaucoup tous ces trucs islandais d’ailleurs. Du côté électronique, j’écoute Jon Hopkins ou encore Ben Frost…
NMH – Et Brian Eno, j’imagine ?
T.K. – Oui, bien sûr, nous avons grandi en écoutant Brian Eno et tous ses projets, plus particulièrement ce qui l’a rendu populaire avec ce qu’il a fait avec U2. J’écoute aussi Girl Band, de Dublin, un groupe que je trouve vraiment intéressant… Ce n’est d’ailleurs pas un groupe de filles, c’est juste un nom pour charrier *rire*. Par contre, c’est juste du bruit, ce n’est pas de la musique, ce n’est pas censé exister, mais il y a tellement d’attitudes, ils sont différents… Je pense que s’ils étaient là aujourd’hui (NLDR : au dunk festival), les gens seraient effrayés *rire*.
À part ça, j’écoute aussi Soundgarden à nouveau, après ce qui est arrivé à Chris… On se sent parfois nostalgique lorsque nous jouons avec certains groupes… Il y a aussi ce projet d’ambient qui a énormément de succès sur Spotify, U137 où Adam, le batteur, vient juste de décéder. Ces événements sont terribles… Jamie va d’ailleurs certainement dédier un morceau à Adam ce soir.
À 27 ans, c’est juste triste de mourir aussi jeune, Adam Törnblad était vraiment quelqu’un de talentueux.
NMH – Ce sont des événements qui ne devraient jamais arriver… Revenons à votre musique, tu parlais de bruit, Torsten, alors voici ma question : est-ce que vous aimez Swans ? Parce que notre expérience vis-à-vis de leur concert était mitigée, le volume était vraiment trop fort…
T.K. – Oui, j’écoute Swans, j’ai lu beaucoup sur eux sur Pitchfork… Michael Gira est là depuis une éternité ! J’aime bien ce qu’ils font, je n’aime pas tout, mais j’aime beaucoup leur musique.
Je suis par contre surpris qu’il ait fait ça, beaucoup de groupes font ça et c’est inutile. Après 110 décibels, l’oreille n’entend plus la musique, le volume devient un effet. Donc je trouve qu’on peut jouer jusqu’à 105 décibels et faire des pics à 110 en tant qu’effet. Jouer trop fort montre, selon moi, un manque d’expérience et cela ne devrait pas arriver à Swans.
NMH – Mogwai est aussi connu pour jouer très fort.
T.K. – Oui, mais avec Mogwai, tu as les deux : la musique et le volume élevé par moment. J’ai vu pas mal de vidéos sur YouTube de Swans où ils descendent rarement en dessous des 110 décibels… Personnellement, je ne veux pas ça, je suis là pour écouter de la musique. Utiliser le volume en tant qu’effet peut-être intéressant pour transmettre la rage ou un sentiment de désespoir. C’est juste mon opinion.
Ceci dit, lorsqu’on parle de respect, ce groupe en a donc… que peut-on dire ? *rire*
NMH – Alors vous ne jouerez pas fort ce soir ? *rire*
T.K. – *rire* Non, nous jouerons fort, mais lorsque c’est nécessaire. Par exemple, Jamie a une mélodie au piano qu’il fait sonner très fort ! Nous serons bruyants lorsqu’il le faudra, sinon quel est l’objectif ? Tout devient ennuyant si nous sommes bruyants du début à la fin. J’ai vu ça pas mal lors de ce festival, certains groupes jouent à pleine puissance puis le groupe d’après est tout calme… C’est un peu dommage que ce soit noir ou blanc et rarement un peu des deux.
NMH – Nous n’allons pas vous déranger plus longtemps, merci beaucoup pour ce merveilleux moment impromptu, nous ne l’oublierons pas de sitôt 😊
T.K. – Et c’est avec plaisir !
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Pour aller plus loin, voici l’interview enregistrée en live par Transviews pendant le dunk!festival 2017 🙂