Rédacteur en chef et Fondateur de NMH. Spécialisé dans le post-rock, l'ambient, le post-metal, le psychédélique et la musique progressive en général.

Nous avons eu le plaisir d’interviewer Ketil, Gaute et Trond du nouveau projet +Ingelrii+, et nous avons parlé de sujets variés comme l’ironie du progressif ou l’humour dans la musique. Une interview très intéressante, qui vous permettra de découvrir ce nouveau projet par les membres de Weserbergland, groupe complètement dingue que je vous recommande également. Avant de vous lancer dans la lecture de cette entrevue, n’hésitez pas à lancer le morceau tout juste sorti, et avec un peu plus de 20 minutes de musique, vous avez largement le temps de parcourir cet article!

Syrinx by +Ingelrii+

NMH – Merci de nous avoir contacté et de nous accorder cette interview exclusive! Vous avez déjà quelques projets musicaux, auparavant Jaga Jazzist et maintenant Weserbergland ou encore vous Gaute avec votre Gaute Storvse Trio, pourquoi était-ce nécessaire de créer un nouveau projet, ce qui est top évidemment?

Ketil – Probablement pas nécessaire. Et nous n’avons pas commencé le projet dans l’intention de sortir un album. C’était Jacob (qui a mixé le morceau et aussi celui qui sortira prochainement) qui a insisté pour un album, en fait. Nous avons suivi son conseil.

Gaute – Je pense que ce projet était très important, en réalité. Travailler sur le premier album de Weserbergland était très intense et difficile. Cela nous a pris beaucoup de temps et d’énergie. +Ingelrii+ est une sorte de « projet rebond ». Ça s’est fait très rapidement et nous avons pris du bon temps en le faisant.

Trond – J’aime essayer de me « réinventer » musicalement de temps en temps, afin de prendre une autre direction musicale. En faisant ça, je recharge, d’une certaine manière, mes batteries musicale. C’est aussi intéressant de faire quelque chose de différent et d’essayer de mêler d’autres éléments dans mes autres projets musicaux, comme par exemple Panzerpappa ou Suburban Savages.

NMH – Pouvez-vous expliquer comment ce projet est né et s’il y a des liens entre vos autres projets, particulièrement Weserbergland?

K – De tous mes projets, celui-ci a les débuts les plus étranges. Les racines remontent à il y a presque 20 ans, quand Gaute et moi-même étudions la musique, et nous avions un groupe de prog dans la même veine. Au même moment, j’ai rencontré Trond pour la toute première fois.

Mais ce groupe a réellement commencé quand Gaute et moi voulions enregistrer du black métal! Nous voulions le faire incognito. Nous commencions à nous envoyer des démos l’un à l’autre. Nous avions un morceau à un moment, un morceau black métal. Mais à un moment, nous nous sommes dit « Améliorerons ce morceau pour que ça sonne mieux ». Et soudainement Gaute est venu avec un morceau de Meters. De là, je pense que le projet black métal s’est estompé et nous sommes revenus dans notre propre passé et nous avons exploré nos propres projets musicaux à la place.

A la fin, nada black métal… Et nous avons réalisé que nous sommes un groupe de prog, il suffait juste à Trond d’entrer en jeu. Le lien est principalement Gaute et moi, nous sommes la force motrice de Weserbergland. Dans ce groupe, je crée la musique mais Gaute est mon « sparring partner », nous discutons des approches des compositions, etc. Mais +Ingerlrii+ est une coopération entre nous en termes d’écriture. Trond est aussi une partie important du groupe. Il a joué avec Weserbergland en 2017 en concerts, et est un de nos amis depuis des années.

Musicalement, nous utilisons en effet beaucoup des mêmes formes que dans Weserbergland et +Ingelrii+ : de longues structures avec des thèmes récurrents, etc. Mais +Ingelrii+ a été créé d’une manière rapide. Nous avons passé approximativement 8 ans à enregistrer le premier album de Weserbergland. Des heures et des heures de (re)enregistrement, de réarrangement et de réécriture. +Ingelrii+, en tout cas la plupart de ce que vous entendez n’est pas seulement une prise unique, c’est littéralement l’enregistrement de ce que nous avons écrit!

G – Nous étions vraiment sérieux lorsqu’il s’agissait de l’album de black métal. Nous avons regardé des vidéos « comment faire du black métal » sur YouTube! La première partie de « Syrinx » commençait par un riff de black métal. Nous l’avons juste harmonisé, écrit une jolie mélodie par dessus et nous avons aussi ajouté du RnB.

Ketil et moi, nous avons fait beaucoup de projets ensemble. Parfois c’est lui le boss, et parfois c’est moi! C’est la première fois qu’il n’y a pas de leader, c’est un vrai truc « Lennon/McCartney »!

NMH – Vous semblez avoir un vrai sens de l’humour, du moins c’est ce que je pense quand je lis vos post sur Facebook, est-ce que cela s’applique à votre musique aussi? Dans le magazine ProgRésiste dont je fais également partie, nous avons une chronique récurrente nommée « Does humor belong to prog? », quelle est votre opinion à ce sujet?

K – Et bien merci. Je vais pouvoir le dire à ma fille de 13 ans qui pense que je suis le pire comédien qui n’a jamais existé ;-)! Mais, oui – je pense vraiment que l’humour est une bonne chose dans la musique. Je ne pense pas que ce soit l’opposé d’être sérieux non plus.

Je dois admettre que j’ai une relation « amour-haine » avec le prog. D’une part, je trouve ça tellement prétentieux et d’autre part je pense que c’est fun en même temps… Je suis de ceux qui se sentent portés par le côté spirituel du prog, particulièrement parce que c’est tellement superficiel! Je ne peux pas m’empêcher de sourire quand j’entends des paroles commes « Dans le temple de blablabla, le bouffon de blablabla a été transformé en pierre par le sorcier de blablabla ». Donc je me dois d’avoir un sens de l’humour pour pouvoir apprécier les paroles quasi new age du prog! De plus, un des plus grands paroliers du prog est Ian Anderson, du moins selon mes oreilles! J’adore son sens de l’humour britannique.

T – Je suis d’accord avec Ketil. Ces derniers temps, le prog reprend les parties les plus prétentieuses du prog classique et les prennent trop au sérieux (Steven Wilson, Opeth et leurs clones, c’est vous que je regarde!). Donc, je préfère plus souvent la musique instrumentale ou les paroles surréalistes de la scène Canterbury.

G – La vie est trop courte pour être prise au sérieux!

NMH – Vous m’avez dit que votre nouveau projet se range dans la catégorie « Dark Forest Prog ». Qu’est-ce que c’est, selon vous?

K – Un prog nordique, plutôt mélancolique, avec des tendances funky et des paroles où la forêt, d’un point de vue mythologique, est importante. Nous avions l’habitude d’utiliser ce genre comme une blague. Dans les années 90, quand le mellotron était l’instrument le moins populaire, nous utilisions ce nom ironiquement pour beaucoup de musique que nous aimions. Spécialement pour un groupe comme Landberk. Dungen en joue la version moderne, imprégnée de café latte et d’IPA! Le skosprog-hipster, si on peut appeler ça comme ça…

T – Et bien, la plupart des forets autour d’Oslo ne sont pas si profondes et sombres. Nous devrions peut-être l’appeler « prog au paysage culturel » plutôt?

G – Je pense que nous avons prouvé, avec ce disque, que c’est un enfant d’amour du RnB et du black métal.

NMH – En parlant de genres, est-ce important pour vous d’être étiquetés? Quelle est votre opinion au sujet des genres et du classement en catégories?

K – Les catégories sont habituellement quelque chose qui arrivent relativement tard dans le développement d’un genre ou d’une ère. Bach n’appelait pas sa musique « baroque », par exemple. Cela a d’ailleurs pris longtemps avant que le prog trouve son nom. Il me semble que cela arrive quand le genre est plus ou moins en fin de vie. Je dit ça en étant parfaitement conscient de l’ironie d’être moi-même un musicien de prog. Dans un projet comme Weserbergland, je suis très conscient de cela, et je travaille pour créer quelque chose de nouveau, même si je retourne en arrière dans l’histoire de mes héros du progressif pour y trouver de l’inspiration. +Ingelrii+, en revanche, a été créé simplement pour le fun, pour moi, c’est presque une déclaration anti-intellectuelle. Particulièrement depuis que le nouveau Weserbergland (qui arrive bientôt, on vient de le masteriser!) a pris un tournant vers la musique classique contemporaine.

G – Je tends à aimer les genres avant qu’ils ne deviennent des genres parce qu’alors personne ne connait les règles. Tu peux voir quelques exemples de ça dans mes albums préférés. Les Pixies étaient du grunge avant le grune, Blondie du punk avant le punk, Ornette Coleman du free jazz avant le free jazz…

NMH – Et maintenant, la question basique, que je trouve vraiment intéressant malgré tout pour les nouveaux projets musicaux : quelles sont vos influences dans +Ingelrii+?

K – Des groupes comme Dungen et Landberk sont très importants pour moi et ont servi d’inspiration ici. Ensuite, le groupe norvégien Høst, un groupe qui semble être plus connu dans le prog norvégien qu’à l’étranger. Mais nous écoutions beaucoup de choses en enregistrant le morceau, une grosse partie est d’ailleurs inspiré de Sonic Youth, et la flûte – et bien je pense qu’il était temps que je fasse un truc à la Ian Anderson? En plus de cela, Gaute avait pas mal d’autres influences aussi.

G – Je pense que Dungen est devenu la plus grosse influence vers la fin du processus quand nous savions ce qu’on voulait faire. Particulièrement la guitare acoustique. Sonic Youth est une énorme inspiration à la moitié du morceau. Ecoute « 100% », c’est ce que j’ai essayé de faire mais avec plus d’énergie. Nous avons essayé de copier la section rythmique de The Meters. Nous avons aussi écouté beaucoup de black métal norvégien comme Dimmu Borgir. Pas tellement le son, mais les structures mélodiques et harmoniques. Les solos de guitare ont aussi pas mal d’influences de jazz. J’essaie de combiner l’approche rock à l’harmonie du jazz. C’est assez difficile parce que je dois changer de mode tout le temps mais en même temps essayer de rester simple, avec beaucoup d’énergie.

NMH – Comment invente-t-on un nom pour un nouveau groupe? Comment cela s’est-il passé pour vous?

K – C’était l’idée de Gaute. Ingelrii est une épée viking. Ça colle bien avec le truc de forest prog. Mais je vais laisser Gaute développer.

G – Nous avons trouvé le nom au tout début du processus de création, quand nous essayions d’être un groupe de black métal. Nous avons essayé de trouver un nom de groupe de métal qui n’avait jamais été utilisé avant. C’est d’ailleurs étonnamment difficile sauf si tu veux un long nom. Ingelrii est la deuxième épée viking la plus célèbre après Ulfberth. Il y a déjà, ou avait déjà, un groupe appelé Ulfberth donc nous avons choisi Ingelrii. C’est un vieux nom norvégien quand nous parlons une langue proche de l’islandais moderne. Ils utilisaient des runes et pas l’alphabet moderne donc on peut l’épeler différemment. Ingelrd et Ingelrilt sont aussi utilisés.

Il se trouve qu’il y a un autre groupe appelé Ingelrii… Quand nous nous en sommes rendus compte, nous avons ajoutés les symbols « + ». Donc notre nom officiel, c’est +Ingelrii+.

NMH – Choisissez entre 5 et 10 albums essentiels qui définissent vos goûts musicaux, que ce soit en termes d’influences ou simplement d’écoute.

K – Ca varie pas mal mais je vais essayer de garder à l’esprit une perspective de 5-10 années d’écoute.

Brahms 4th Symphony – the Carlos Kleiber Vienna Philharmonics version
John Coltrane – Living Space
Tim Hecker – Conoyo
Pekka Pohjola – Keesojen Lehto
Harmonia – Deluxe
Blue Effect and Jazz Q Praha – Coniunctio
Sonic Youth – Daydream Nation
Karheinz Stockhausen – Gesang der Jünglinge
Premiata Forneria Marconi – Photos of Ghosts
King Crimson – In The Court of the Crimson King
Terry Riley – a Rainbow in Curved Air.
Pink Floyd – The Piper At The Gates of Dawn

Oh… C’est un peu plus de 10… Très difficile d’en enlever un, en fait! J’aime beaucoup la musique classique. Et récemment, de plus en plus de musique classique, avant-garde du 20e siècle mais aussi des trucs de l’ère Romantique ou même plus vieux. Un peu de jazz, mais principalement les « grands ». Coltrane et Miles par exemple. Un peu de prog aussi mais aussi de la musique électronique et du noise rock.

G –

The Pixies – Surfer Rosa/Come on Pilgrim
Sonic Youth – Daydream Nation
Dungen – Ta det lugnt
John Coltrane – Meditations
Keith Jarret – Belonging
Tony Williams Lifetime – Turn it over
Television – Marquee Moon
Love – Forever Changes
Ornette Coleman – The Shape of Jazz to Come
Blondie – Blondie

T –

Yes – Close To The Edge
Magma – Mëkanïk Dëstruktïẁ Kömmandöh
Univers Zero – Ceux Du Dehors
Zamla Mammaz Manna – Familjesprickor
Lars Hollmer’s Looping Home Orchestera – Vendeltid
Fred Frith – Gravity
Kraftwerk – Man Machine
Tortoise – Millons Now Living Will Never Die
Terje Rypdal – Waves
Happy The Man – Crafty Hands

NMH – Parlons du futur. Une tournée est-elle prévue avec vos différents projets? D’autres albums?

K – Pour le moment nous explorons les micro-intervalles pour un nouvel album de Weserbergland. Peut-être ne réussirons-nous pas? Peut-être que si? Mais ça va probablement nous prendre un moment pour travailler avec les 24 (ou plus) tonalités de chaque octave. Donc à ce moment, cette question est très ouverte. Mais nous (Weserbergland) avons un morceau de 42 minutes qui sortira après Noël. Joué sur des instruments préparés et très sombre et bruyant. Les micro-intervalles nous semblent être le niveau suivant.

Une tournée, peut-être? Je ne suis pas très amoureux de jouer en live. Cela m’a fatigué quand je jouais avec Jaga Jazzist. Mais peut-être que Gaute peut me faire changer d’avis? Nous verrons!

T – Panzerpappa est bien vivant, et nous allons jouer quelques concerts en 2020. Suburban Savages est en train de terminer un nouvel album qui sortira au début du printemps 2020, et avec mon alter-ego Elctrond on planifie plus de concerts et un EP.

G – Nous jouerons probablement quelques concerts avec +Ingelrii+ et Weserbergland. Pas ensemble en fait parce qu’ils se détestent l’un l’autre!

Je donne quelques concerts avec le Gaute Storsve Trio. Nous sommes même rejoins par la légende du saxophone en Norvège Erik Balke (allez écouter!) à quelques occasions. Nous allons probablement enregistrer un nouvel album, mais pas dans un futur proche. En même temps, je vais sortir quelques compositions avec mon projet solo Gastor Radio.

Nous sortirons, avec +Ingelrii+, un nouveau morceau de 20 minutes quand ce sera mixé et que nous nous sentirons prêts.

  • Guillaume

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *