Chroniqueur, graphomane lexicopathe féru d'humour absurde et d'une myriade de genres musicaux : musique psychédélique, prog, jazz, fusion & funk, ambient, minimalisme, RIO, zeuhl, gamelan, éthio-jazz, folk imaginaire, IDM, abstract hip hop...

Morceaux de choix -//- Apogées, climax et apex sélectionnés de la mosaïque délicieusement pluriculturelle de Secret Chiefs 3, Book M (2001) ~

Non-initiés, trémulez à l’appel. Néophytes, ondulez tels du jelly tentant de s’échapper de son nid. Ce qui s’apprête à se déployer ici dans toute sa magnificence polyglotte n’est guère commun mais bon, ce n’est point pour cela que vous hantez les colonnes d’ÈnÈmmeAche, n’est-ce pas ?

Secret Chiefs 3 est un collectif à l’identité brumeuse, fumeuse même. Pour commencer déjà, plusieurs entités le composent, de la branche des Traditionalists au sous-groupe Ishraqiyun… Imaginez les américains de Sunn O))) quittant leurs marais stagnants à l’air vicié bourdonnant de chants monacaux pour se reconvertir soudainement en papes apocryphes de la diversité musicale infinie, le tout muté électroniquement avec la passion d’un Cedric Bixler-Zavala et/ou d’un Omar Rodriguez-López pour la titulature cryptique et baroque à rallonge… et vous trouverez là peut-être une accroche à peine valable.

SC3, c’est le projet de ce diable d’éclectisme forcené de Trey Spurance, qui devait sans doute trouver l’hybridation pourtant extrême de Mr. Bungle un poil trop focalisée sur des éléments bruitistes ou surf rock pour ses goûts en perpétuelle révolution. Quelques indices avaient cependant déjà été disséminés. Sur Desert Search for Techno Allah, paru l’année même de la fondation du cartel secret numéro trois sur Disco Volante (Bungle), figure déjà ce qui deviendra le fer de sceptre islamique en croissant lunaire du groupe : l’hybridation de musique traditionnelle orientale (trouvant principalement ses sources du Proche-Orient au Caucase) et des pulsations technoïdes, aboutissant à une version éclatante d’originalité – et largement moins kitsch, il serait permis de l’alléguer – de la psytrance.

Cette fusion détonante formait une belle lampe de rancement pour un projet aux ambitions holistes et cinématiques. Plus encore peut-être qu’avec Fantômas, qui joue la carte de la cinéphilie en assaisonnant les BO classiques de films d’horreur à la sauce Patton, l’aura des disques-livres de Secret Chiefs 3 suggère des bandes-sons de films imaginaires, entre westerns, péplums issus de Bollywood et films fantastiques de série Z.

Spurance, entouré d’une kyrielle de musiciens versatiles (parmi lesquels plus du tout Trevor Dunn en fait, qui venait de partir en croisade sur son poney à noeud pap’ indigo et rouflaquettes à la Henri XVIII, certainement) et de curieux instruments comme des guitares microtonales accordées « à l’orientale », du baglama (saz grec), une percussion darbouka, du zither, du santour (sorte de cymbalum miniature) et un tar ou luth persan. Et si je semble moi-même me fondre dans un langage aux ésotériques arabesques, c’est parce que les artisans de cet étrange mélange des genres vont énormément puiser leur lutherie auprès des influences ethniques qu’ils convoitent.

Ajoutez-y une propension à intégrer de l’orgue, du Rhodes et autres synthés virevoltants ou astraux à leur palette sonore, et vous comprendrez pourquoi les fans de claviers Seventies ont alors tout pour être conquis. L’impression d’écouter une musique traditionnelle et futuriste, comme vue à travers un démoniaque miroir déformant, est continue, et le questionnement sur l’abandon de toutes frontières, stimulant.

Saisissons fissa une poignée de cas d’école, voulez-vous :

Après une entrée en matière aux rythmes iraniens rappelant ceux de Chemrani (d’ailleurs référence absolue en la matière !), le tout mêlé à une basse dub et du cymbalum ondoyant diamantairement du ventre, déboule Hagia Sophia et sa drum’n’bass qui se décore peu à peu de plaintes orchestrales panoramiques, brodées d’or et chaleureuses comme une poignée de sable en plein désert nomade.

Vajra sonne comme un orchestre classique indien soudain parasité par de la lourdeur metal, ce qui cadre superbement bien avec le côté assertif et acrobatique des musiciens en présence, tandis que Ship of Fools (Stone of Exile) nous joue la carte du rebetiko grec. Illimités, ces gars sont illuminés, et comme chez Gryphon ou Gentle Giant, à l’émerveillement s’ajoute toujours un étonnement intense, celui d’avoir souvent l’impression d’écouter de véritables morceaux traditionnels. Témoignage ultime de la volonté d’arriver à métisser – presque à caméléoner – un héritage culturel toujours plus vaste au fur et à mesure qu’on le digère, cette capacité à métaboliser les cultures force l’admiration. À moins que le groupuscule ait envoyé ses espions récolter l’âme de tout ce qu’un atlas ethnographique peut contenir…


S’annonce bientôt mon moment-clef de l’album : la tétrade Horsemen of the Invisible/Combat for the Angel/Zulfigar III/Siege Perilous.

I. Le premier sonne comme un morceau des Residents au potentiel taré décuplé. Je pense que tout est di(c)t.

II. Combat for the Angel déploie ses ailes de poussière sur une rythmique complètement impossible, ciselée au millimètre près par un power trio (Trey Spruance – gtr ; Tim Smolens – b ; Danny Heifetz – dr) à la cohérence stupéfiante. Sur cette trame dantesquement accidentée, le violon d’Eyvind Kang émaille des chants merveilleux, entre lyrisme et criaillements aigus… Et à chaque fois que le groupe coalesce pour nous entonner un thème instrumental à la beauté turque (si j’ai bien révisé mes traditions), c’est magique.

…Les plaintes se dissolvent ensuite, tandis que les étoiles se rassemblent sur fond de ciel noir. Il est alors plus que temps pour décapsuler la rave party orgiaque de (III.) Zulfiqar III¹. Celle-ci mêle cent bouffées de fragrances synthétiques très space rock à une rythmique trance et des guitares death metal. Vrai, le potentiel hypnotique du morceau, décuplé lors de ses différentes entrées en scène mélodiques devraient renfermer le pouvoir de vous escorter jusqu’à des états cathartiques de folie enfiévrée… aussi connu sous le nom pas très médical de « rapt consenti de votre reptilien », pendant que votre néo-cortex, lui, se dit qu’un tel mélange a priori kitschissime n’a pourtant aucune chance de fonctionner sur le papier.

IV. Il est ensuite temps de redresser votre noble faciès pour vous faire noblement introniser sur un Siege dont tout porte à croire qu’il est Perilous, vibrant hymne médiévalo-byzantin qui ne laissera poinct de marbre ceux qui, pour rire ou un poil plus pour de vrai, se sont déjà senti une âme de Messire. Note : j’ai également croisé ce même morceau sur un album de Family Fodder, joliment nommé All Styles, et qui essayait de faire passer cette mélodie traditionnelle pour du disco !

Certains secrets gardant à être hermétiquement scellés, le but de ce tour d’horizon n’est pas de diffuser la lumière sur l’entièreté de ce Book M, issu de conventicules aux subtilités intraduisibles pour les mortels que nous sommes. Je vous quitterai donc en ayant – je l’espère – décuplé votre appétence, et non sans décrire en brèves ellipses l’ultime Safina, qui profite d’une structure Sci-Fi aux synthés mouvants, pour bâtir une reprise de l’immortel morceau d’éthio-jazz Muziqawi Silt, une pure émanation de funk tentaculaire comme on n’en fait plus (ou peu s’en faut).
Comme une manière ultra-groovy et détendue de clôturer un album au mysticisme haletant.

Une chose est certaine, vous ne sortirez pas inchangés de cette traversée du désert pléthorique. D’ici-là, salut divin en swahili d’amharique à tous : ሰላም !
~

¹ Surnom post-choupinou, bibliquement, donné par Mahomet à l’épée qu’il a offerte à son oncle ‘Alī lors de la bataille de Uhud, le 23 mars 625 – pour les islamic trivia lovers.

  • Tom

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