Chroniqueur fan d'ambient, avant-garde, art pop, black music, classic rock, folk, jazz & fusion, progressif et soundtrack.

Souvenez-vous, c’était il y a quelques années … Le studio de développement de jeux vidéo très prolifique Rockstar Games nous conviait à vivre l’une des expériences vidéoludiques les plus intenses jamais créées avec Read Dead Redemption. Pourtant campé derrière l’univers désuet qu’est le western, et notamment ici le western spaghetti, Read Dead Redemption fut encensé de toutes parts, comme peu de divertissements vidéoludiques avant lui, le plaçant ainsi dans une position confortable, presque indétrônable, tout en haut du panthéon des plus grands jeux vidéo de tous les temps. La raison en revient au soin méticuleux et adulte apporté au soft : un monde ouvert en plein Ouest sauvage, un univers particulièrement attractif, épique et vivant, autour d’une trame scénaristique et d’une réalisation traitées aux petits oignons. On y incarne John Marston, pistolero cherchant la rédemption afin de sauver sa famille retenue en otage par la justice. La liberté d’action impressionnante, la technique saisissante, la foule d’activités et de quêtes en dehors de la trame principale, les missions secondaires et les événements aléatoires font de Read Dead Redemption un titre à savourer de bout en bout, avec un émerveillement constant. Une aventure qui capte toute l’attention jusqu’à s’accaparer de notre vie le temps d’une longue chevauchée, pour ressentir des émotions difficilement descriptibles, à tel point que notre avatar à l’écran prend une dimension tangible.

Je ne vous apprends rien en vous disant que Rockstar est également perfectionniste en ce qui concerne l’élaboration de leurs bandes originales. Mais bien qu’ils aient prouvé être des mélomanes accomplis par le biais de leurs anciennes productions, notamment via les Grand Theft Auto, le défi allait être tout autre avec ce western. C’est bien connu, il n’y a pas de radio sur les chevaux. Il fallait donc passer par la case « compositions originales » façon œuvre cinématographique pour combler les silences de l’ambiance sonore et des bruits ambiants (qui sont, cela dit, tout aussi extraordinaire que le jeu lui-même). La crainte qui mettait donc toute la communauté en émoi à quelques semaines de la sortie du jeu, alors en pleine effervescence face à des bandes annonces toujours plus excitantes les unes que les autres, était de retrouver une musique trop plate, trop éloignée ou simplement trop similaire à ce que Ennio Morricone (célèbre compositeur italien, notamment connu pour les chef-d ’œuvres du cinéma que sont les westerns spaghettis du Maître du genre, Sergio Leone) nous avait habitué. Et qu’à cela ne tienne : il est difficile de parler de musique dans le western sans évoquer Ennio Morricone, tout comme on ne peut pas passer au-dessus du réalisateur Sergio Leone, le papa du genre tout simplement. En bref, il fallait trouver le juste milieu : une identité propre qui saluerait Morricone mais qui ne le copierait surtout pas, sous peine de s’attirer les foudres des amoureux du célèbre compositeur et de perdre toute crédibilité artistique. Tous les espoirs du studio furent ainsi placés entre les mains de deux artistes inconnus au bataillon : Bill Elm et Woody Jackson. Rockstar vantait leur talent, ils ne se sont une nouvelle fois (et heureusement) pas trompés.

Ennio Morricone & Sergio Leone qui discutent à propos d’une scène sur le tournage de « Il était une fois dans l’Ouest » ; Sergio Leone incluait Ennio Morricone dans ses scénarios car il considérait la musique comme étant un personnage important du scénario.

Sitôt la galette insérée dans la console, c’est sur « Exodus in America » et la cinématique d’introduction que l’on tombe. Et là, c’est la claque. Un titre d’une splendeur et d’un rare modernisme pour le genre. Quelques notes de pianos mélancoliques laissant rapidement place à une ambiance nettement plus virile et froide, scandant ainsi un premier hymne pour ce véritable opéra du Far West. Puis apparaît le visage de John Marston, caricature pure sang de Clint Eastwood à son âge d’or. On replonge alors directement dans les grands classiques, les trois films de la Trilogie du Dollars de Leone en tête de gondole, bien que l’on sent que Red Dead Redemption ne fera juste que les effleurer, sans jamais les copier. « Exodus in America » met en appétit et conforte aussi l’idée que la bande originale de Red Dead Redemption distillera un hommage à Morricone sur toute sa durée, mais qu’il aura sa propre identité. La sauce prend, on ne sait plus décrocher.

Que ce soit sur le duo violon/sifflements du thème principal « Born Unto Trouble », ou bien avec l’ardeur du second thème éponyme, voire encore sur la sublime complainte au violon « Dead End Alley », la magie opère. L’énumération de chacun des titres est vaine tant la qualité et l’émotion sont au rendez-vous. Tous les morceaux respirent l’Ouest sauvage dans ce qu’il a de plus beau et de crépusculaire, en n’omettant jamais de dégager une patte lyrique intimiste. Certains titres accueillent même des sonorités plus mexicaines (scénario et géographie obligent), rappelant notamment l’exode de La Horde Sauvage de Sam Peckinpah, ainsi qu’à d’autres westerns sombres. L’esprit de rédemption et de mélancolie du temps passé sont bien retranscrits et respectent les codes du genre ; le western spaghetti est un sous-genre cinématographique mettant l’accent sur la violence, la fatalité et l’individualisme. Tout se règle par les armes, morale et psychologie étant des notions de tourmente.  En cela, la musique incarne presque la fresque mentale du cowboy solitaire : mélancolique mais nerveuse et donc prête à bondir à la moindre secousse en sortant son pistolet.

Le cowboy solitaire John Marston est désormais un héros qui a une place importante dans le cœur des joueurs.

La bande originale ne s’arrête pas là et propose en plus de son contenu savoureux quatre titres originaux composés par des artistes de renom aux Etats-Unis. Parmi ceux-ci, on retrouve trois ballades typiques bien que modernes et un quatrième morceau intégralement chanté a capella, apparaissant à des moments clés de l’aventure. « Compass » laisse un souvenir impérissable aux joueurs ; une sorte de ballade folk se transformant en envolée épique où trompettes exécutent une danse des plus nostalgiques. Frissons garantis. « Deadman’s Gun » est du même gabarit, quoiqu’il frise plus avec la complainte que l’évasion tout en restant d’une grande qualité, à la différence de « Far Away » plus entraînant bien qu’intégralement acoustique. Enfin, « Bury Me Not On The Lone Prairie » clôt l’album de façon assez surprenante : on y entend un soliste déclamer un poème de circonstance avec un léger écho. Jouissif à souhait.

Le western de Rockstar est donc l’archétype même de la réussite à tous les niveaux, et ce jusque dans ses moindres recoins. Hommagieux mais frais avec sa propre personnalité, il est soutenu par une bande originale savoureuse, aventureuse et épique, traitée et soignée comme jamais, surprenante à plus d’un titre avec la présence de multiples instruments d’époques et des variations mélodiques et rythmiques qui ne manqueront pas de laisser pantois. Des instants cultes du jeu se propagent à travers notre mémoire à la simple écoute du disque, avec une émotion toute particulière pour les morceaux de fin de jeu qui signe un épilogue crépusculaire et d’une rare violence.

  • Alessandro

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